Critiques // « Robert Plankett » par le collectif La Vie Brève à la Cité Internationale

« Robert Plankett » par le collectif La Vie Brève à la Cité Internationale

Jan 11, 2011 | Aucun commentaire sur « Robert Plankett » par le collectif La Vie Brève à la Cité Internationale

Critique d’André Antebi

Robert Plankett est mort. La situation est simple et c’est le point de départ du travail lancé par Jeanne Candel avec son collectif La Vie Brève. Pas de texte en amont de la création. La troupe travaille l’écriture au plateau, avec les comédiens, autour d’improvisations dirigées par la metteuse en scène.
Réunis autour de matériaux divers allant de la peinture aux anecdotes personnelles, les artistes ont inventé ce personnage, Robert, jeune metteur en scène mort d’un AVC (accident cardio-vasculaire) et lui ont donné vie tout en parlant de sa mort. Chacun apportant un peu de lui-même, chacun ayant son mot à dire, sa couleur à ajouter. C’est ainsi qu’évolue ce Collectif qui assume parfaitement cette appellation.

© Charlotte Corman

Pour cette méthode, Jeanne Candel dit « s’inspirer de la façon dont certain chorégraphes travaillent. Parce qu’en danse, souvent, il n’y a rien qui préexiste et il faut tout inventer sur place ». Son inspiration vient également du metteur en scène hongrois Arpad Schilling avec qui elle a travaillé : « On avait une consigne, les acteurs préparaient quelque chose, puis on montrait et on parlait ».
Alors on imagine bien Jeanne devant ses comédiens : « Le deuil ! Je reviens dans 10 min… ». Et les voilà partis.

Le sujet est grave mais tellement commun. Il nous renvoie chacun à notre expérience de la mort, c’est à dire à notre rapport aux souvenirs, aux objets, au vide et au silence et à toutes les traces que nous laissons en chemin, ou celles dont nous sommes porteur, tel un baiser posé sur une épaule, tant de preuves de la présence au monde d’une personne. Et ce subtil équilibre entre la gravité de la situation et son universalité est magnifiquement pris en charge par le collectif La Vie Brève. Le spectacle navigue tranquillement sur une ligne claire faite d’humour, de poésie et de vérité, évitant le pathos outrancier d’un côté et le naturalisme plat de l’autre.

© Charlotte Corman

C’est que pour aborder ce sujet, la troupe a choisi de parler du réel, de l’ordinaire, des tracas causés par la disparition d’un être aimé. La grande douleur est toujours en arrière plan, mais il y a des choses à faire, alors on pleurera plus tard (pour certains cependant, plus fantomatiques que le défunt lui-même, la tâche est trop lourde). Pour l’instant les amis de Robert, sa compagne et sa cousine germaine sont réunis chez lui pour vider les placards, les étagères, le frigo, trier les affaires, résilier les contrats, se partager ce qui reste et recycler ce qui n’appartiendra plus à personne. Ils vont mettre Robert en règle avec sa nouvelle situation.
À cette occasion, ils partageront certains souvenirs, seront ou ne seront pas d’accord dans cet exercice de mémoire. C’est aussi l’heure de dévoiler ses sentiments, on prend conscience de sa propre fragilité…
Le ton se veut réaliste, mais à chaque fois Jeanne Candel sait créer le décalage qui viendra donner tout son relief à la situation. Elle appelle cela « la griffure ». « Une griffure qui vient déranger le réalisme ». Pour cela, objets et corps sont exploités à merveille.

© Charlotte Corman

Les personnages sont en train de trier des livres lorsqu’on les découvre pour la première fois. Nous les apercevons à travers un mur de papier kraft suspendu sur la scène, dans lequel des fenêtres ont été percées au cutter encadrant chacune un morceau de quelqu’un (Une bouche par exemple, rappelant celle de Beckett dans « Pas Moi »). C’est comme si la mort de Robert, son absence soudaine, le vide avait déjà mis en pièce un groupe d’amis et brisé un équilibre. La scène est banale mais « dérangée » par cet étrange point de vue…
Pour évoquer celui qu’elle a aimé, une jeune femme pointe sur son corps tous les coins de peau ayant un lien avec Robert. Ce corps n’appartient plus entièrement à sa légitime propriétaire. Il devient la mémoire d’un autre, il est partagé. Partagé, comme on partage les objets, comme « on partage Robert ».

Le décalage apparait aussi avec le traitement de la Présence.
Une amie médecin de Robert fera l’analyse clinique de son décès. Pour plus de précision elle demandera l’assistance du défunt lui-même qui se prêtera de bonne grâce à l’exercice. Et ce n’est pas la première fois que Robert Plankett débarque sur le plateau frais et dispo. Il est même omniprésent, on le voit partout. Il a du mal à quitter la scène.

En douceur, avec une grande simplicité et économie de moyens (la troupe à tout misé sur le vivant…) le spectacle évoque ainsi la présence du défunt, qui, malgré sa disparition, continue d’exister à travers une odeur sur un pull, un poil de barbe coincé dans le rasoir ou encore un poulet congelé.
Ces détails, ces insignifiances deviennent l’objet de toute la détresse d’une personne face au deuil. Détails qui s’effriteront au fil des années, les odeurs finissant par s’évaporer, le rasoir enfin jeté, le défunt avec les cartons quittant finalement le quotidien des vivants.

Robert Plankett
De et par : le collectif La Vie Brève
Mise en scène : Jeanne Candel
Ecriture et jeu : Marie Dompnier, Lionel Dray, Sarah Le Picard, Laure Mathis, Hortense Monsaingeon, Juliette Navis-Bardin, Jan Peters, Jeanne Sicre, Marc Vittecoq
Dramaturgie : Samuel Vittoz
Création lumières : SylvieMélis
Scénographie : Lisa Navarro
Direction musicale : Jeanne Sicre

Du 6 au 29 janvier 2011

Théâtre de la Cité Internationale
17 boulevard Jourdan, 75 014 Paris – Réservations 01 43 13 50 50
www.theatredelacite.com

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