À l'affiche, Critiques // Richard III, de William Shakespeare, mise en scène de Thomas Jolly, théâtre de l’Odéon.

Richard III, de William Shakespeare, mise en scène de Thomas Jolly, théâtre de l’Odéon.

Jan 09, 2016 | Commentaires fermés sur Richard III, de William Shakespeare, mise en scène de Thomas Jolly, théâtre de l’Odéon.

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© DR

Crépusculaire ! Après le formidable Henry VI, épopée shakespearienne fait de bouts de ficelles et d’un allant irrésistible, d’une fraîcheur de jeu et d’inventions folles, Thomas Jolly renverse brutalement la vapeur. Au risque de troubler les spectateurs, ceux qui, enthousiastes portèrent aux nues cette guerre des roses réinventées par une bande de garnements facétieux. Au risque de les perdre. Ce Richard III demande cet effort, difficile mais nécessaire, d’oublier Henry VI. Ou peut-être et subtilement d’accepter ce basculement brutal ou le second opus ne pourrait se lire, dans sa complète opposition,  qu’au regard du premier. «  Voici l’hiver de notre déplaisir ». Pari osé et réussi non sans risque. Thomas Jolly avec Richard III, conclusion de cette saga, fait table rase. Certes çà et là subsistent, incises malicieuses, des lambeaux dramaturgiques de ce qui fut précédemment. Simples rappels qui accusent le basculement opéré, inscrit Richard III dans une continuité en rupture volontaire. Thomas Jolly redéfinit une nouvelle esthétique au service de ce texte. Le fond lié à la forme sans se trahir ni se départir d’une vision globale de l’œuvre. Crépusculaire, sombre, c’est un opéra baroque funèbre, expressionniste, une fresque rock et punk mené par un roi au corps grimaçant, au destin sanguinaire brisé par les fantômes qui le hante. Thomas Jolly vide le plateau, découpé au laser par la lumière. Une lumière qui sculpte le plateau, scrute les corps. Lumière froide, inquisitrice. La technologie, le high-tech a remplacé le bric-à-brac d’Henry VI. Seuls subsistent les échafaudages d’acier, vantaux ouverts ou fermés, qui découpent les lieux. Il n’y a rien donc sur la scène que ce corps qui se traîne, boite sa sauvagerie, feule sa haine, séduit et rage. Et des acteurs blafards, bouches d’ombre qui profère le texte. Les femmes sont des sibylles qui éructent, reines ensanglantées et tragiques. Un jeu en force, au public adressé, comme pour couvrir le tumulte des batailles à venir. C’est un Richard III de bruits et de fureurs. Mais Thomas Jolly est un Richard III que saisit et broie le doute. Une scène, inédite ce me semble jusqu’alors, fracasse l’élan irrésistible donné jusqu’alors au personnage. Démontre aussi l’acuité du metteur en scène et du comédien, son analyse fine et pertinente des enjeux dramaturgiques. Le fils mort-né de Richard III et de Lady Anne lui est apporté. Enterré au pied de l’escalier qui mène au trône, ce fantôme hante ce roi sans descendance désormais. Monter sur le trône c’est buter sur l’absence d’avenir. C’est la faille qui bientôt l’engloutira. Le désarroi s’installe et entraîne la chute. Un «  tout ça pour ça », pour rien… Echo tragique et prémonitoire d’ « Un cheval pour mon royaume ». Il y a bien d’autres trouvailles. Comme cette console de jeu tenue par le prince d’York à la musique si agaçante mais qui prend une importance lors du meurtre de l’héritier, un instant glaçant, d’une simplicité et d’une force brutale. La traduction de Jean-Michel Déprats, précise, concise, contient toute la charge dramatique de Shakespeare, sa poésie brutale, et sans emphase ampoulée. Le poids des mots, leurs précisions tragiques sont autant de déflagration dans cet univers dévasté où règne la terreur et l’usurpation où le peuple consent à la tyrannie, applaudit le tyran dans une scène, génialement culotée, où l’Odéon se transforme en concert de rock. Richard III n’est que le produit de son époque. Un coup d’œil sur le décor suffit à comprendre que rien n’a changé. On retrouve au final dans ce Richard III tout ce qui fait la pertinence de ce chef de troupe, de ce metteur en scène et comédien. C’est la face sombre qu’il nous offre aujourd’hui, qui perçait déjà dans Henry VI. Osera-t-il l’intégrale ?

Richard III de William Shakespeare
Mise en scène et scénographie de Thomas Jolly
Texte français de Jean-Michel Déprats
Adaptation de Thomas Jolly et Julie Lerat-Gersant
Création Lumière François maillot, Antoine Travert et Thomas Jolly
Musiques originales et création son Clément Mirguet
Créations costumes Sylvette Dequest assistée de Fabienne Rivier
Création vidéo Julien Condemine assisté d’Anouk Bonaldi

Avec Damien Avice, Mohand Azzoug, Etienne Baret, Bruno Bayeus, Nathan Bernat, Alexandre Dain, Flora Diguet, Anne Dupuis, Emeline Frémont, Damien Gabriac, Thomas germaine, Thomas Jolly, François-Xavier Phan, Charline Porrone, Fabienne Rivier, et en alternance Jean Alviat, Bilal Foot, Maya Colombani, Lucie Cormier, Jeanne daffix, Blaise Desailly, Garance Hamon, Gaspard Martin-Laprade, Yoko Moy, Basile Thévenin

Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris
Du 6 janvier au 13 février 2016
Du mardi au samedi à 19h30, dimanche à 15h
Relâche les lundi, relâches exceptionnelles les dimanches 10 et 24 janvier
Réservations 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.eu

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