© Mathilda Olmi
article de Denis Sanglard
Va-t-on au théâtre pour voir un film documentaire ? Pour ma part, non. C’est pourtant ce à quoi Thomas Ostermeier nous invite et nous inflige. Pas le choix. Nous sommes dans un studio où Irène Jacob en enregistre la voix off sous la houlette de son réalisateur et du directeur des lieux. Retour à Reims, texte de Didier Eribon, à la fois traité de sociologie et autobiographie, qui interroge la honte sexuelle et la honte sociale, ce que l’on retrouve dans les romans d’Annie Ernaux et plus récemment chez Edouard Louis, disciple de Didier Eribon. Réflexion sur la construction de soi, avec pour viatique « je me suis choisi » – l’invention de soi par la dissociation -, le déterminisme social et la reproduction des schémas de domination des classes dirigeantes. Tout à la fois récit d’apprentissage et réflexion sur la reproduction des élites, l’abandon par la gauche devenue technocratique des classes populaires, désormais récupérée par l’extrême droite. Et c’est ce dernier aspect qui intéresse Thomas Ostermeier. Mais d’emblée on se dit, aïe ! Didier Eribon dans le train, Didier Eribon à Reims, Didier Eribon à Paris, Didier Eribon dans une librairie… Pas encore Didier Eribon à la plage, mais bon. Certes le sujet et l’objet de cet essai c’est Didier Eribon, son déclassement, son homosexualité, son parcours universitaire qui défie le déterminisme, la honte en sautoir, mais quoi ? Va-t-il paralyser ce documentaire que la voix ronronnante d’Irène Jacob, impeccable au demeurant, derrière son micro commente par la lecture de l’essai ? On craint le pire, ne voir que l’auteur, qui n’advient heureusement pas. Mais reste ce documentaire didactique et on se dit qu’il reste encore plus d’une heure… Alors par miracle, et c’est complétement artificiel, les coutures sont apparentes et grossières, Irène Jacob s’arrête. Pas d’accord avec le montage et les coupures dans le texte qui faussent le débat dit-elle. Explication de texte et divergence des points de vue, la pause est bienvenue, enfin du théâtre se dit-on. Bé non, c’est vite balayé, expédié. Le documentaire repart, Irène Jacob ronronne derechef… Il y aura une seconde pause, un interlude musical, du rap, qui vous tombe là comme un cheveu dans le bouillon. Pire on éclaire la salle, pour un peu on nous fait taper dans les mains. Procédé on ne peut plus racoleur et désastreux. Le documentaire repart, etc. Et enfin en conclusion, pour actualiser le propos de Didier Eribon, on tente d’élargir le débat par l’évocation des jeunes issus de l’émigration, victimes du racisme, à qui on demande toujours de faire preuve de leur intégration. Déterminisme social et politique toujours… Et en passant, on s’y attendait, c’était prévu d’avance, seront évoqués aussi les gilets jaunes, sans réflexion véritable, creuse, et d’ailleurs le sujet lui aussi est vite renvoyé, le documentaire remonté, la séquence jugée hors de propos. Plus loin un questionnement sur l’engagement artistique aujourd’hui est évoqué également… Façon sans doute de justifier cette création et l’engagement, que l’on sait sincère, de Thomas Ostermeier. Mais sans remettre en question le documentaire en lui-même, on souligne le formidable travail d’archive, il était sans doute inutile de le mettre en scène. Comme le texte il se suffit à lui-même mais a-t-il sa place ici, sur une scène ? Cet habillage-là, purement artificiel ne sert à rien, est raté en ce sens où il n’occulte pas la pauvreté de la dramaturgie qui n’est qu’un prétexte, un support. La vidéo supplante ici définitivement toute théâtralité, finit par la dévorer. C’est le degré zéro du théâtre. Le documentaire seul aurait suffi donc mais passé sur une chaîne de télévision, pas sur un plateau de théâtre.
© Mathilda Olmi
Retour à Reims d’après le livre Retour à Reims de Didier Eribon (fayard 2009) dans une version de la Schaubühne Berlin
Mise en scène Thomas Ostermeier
Scénographie et costumes Nina Wetzel
Musique Nils Ostendorf
Son Jochen Jezussek
Dramaturgie Florian Borchmeyer, Maja Zade
Lumières Erich Schneider
Assistant à la mise en scène Lisa Como, Christelle Ortu
Assistante costumes Maïlys Leung Cheng Soo
Film réalisation Sébastien Dupouey, Thomas Ostermeier
Prises de vue Marcus Lenz, Sébastien Dupouey, Marie Sanchez
Montage Sébastien Dupouey
Prise de son Peter Carsten, Roben Nabholz
Musique Nils Ostendorf
Design sonore Jochen Jesussek
Recherche archives Laure comte, bagage ( Sonja Heitman, Uschi Feldges)
Technique vidéo Jake Witlen et sabrina Bruckner
Avec Cédric Eeckhout, Irène Jacob, Blade Mc Alimbaye
Du 11 janvier au 16 février 2019
A 20h, 16 h le dimanche
Théâtre de la Ville / Espace Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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