© Monika Rittershaus
ƒƒ article de Denis Sanglard
La Résurrection selon Roméo Castelluci c’est un charnier à ciel ouvert où s’entassent les cadavres à qui l’on redonne une identité bafouée par leur mort violente. Nécessité intime dans la réparation, le deuil, et politique dans la dénonciation des crimes contre l’humanité. Sur cet immense plateau couvert de boue, alors que résonne la symphonie numéro 2 de Mahler, qui porte le nom éponyme de cette création, s’affairent les membres de l’UNCHCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés), déterrant un à un les corps putréfiés, enfants, femmes et hommes jetés là, sur cette lande de terre désolée. Travail méthodique, recensement macabre, ils sont une cinquantaines de corps couchés sur des linceuls, housses de plastique blanc qui se refermeront sur eux une fois répertoriés avant de rejoindre ce qu’on imagine être la morgue.
De cette symphonie, » [ce] chant de la terre » selon Mahler lui-même, arc de vie de l’enfance à la mort, Roméo Castelluci sciemment donne une lecture qui se refuse à l’illustration, suivre la partition et son rythme singulier, pour une interprétation radicale se refusant à la théâtralité et bien loin de toute la spiritualité religieuse contenue dans la partition, où s’exprime à la fois le silence assourdissant de Dieu devant l’innommable de ce qui fut ici et que l’on imagine avec terreur, et l’humanité de ces hommes et femmes fouissant la terre pour une mission humanitaire qui sans doute les dépasse. Une spiritualité laïque en quelque sorte qui sans oblitérer la dureté de l’image et de leur action altruiste est une réponse compensatrice à cette violence raisonnée. Roméo Castelluci oblige à voir frontalement, garder les yeux ouvert lucidement alors même qu’une symphonie peut s’écouter les yeux fermées. Le spectateur est mis devant un choix, refuser l’image et ne se concentrer que sur la musique ou regarder, ouvrir les yeux grandement, avec son cortège de questions malaisantes qui sur le plateau se déroule froidement. Difficile à vrai dire de se concentrer sur l’orchestre symphonique de la Ville de Paris dirigé avec éclat et nuances par Esa-Pekka Salonen alors que se font entendre les bruits de succions des bottes aspirées par la boue, le bruissement des housses mortuaires que l’on déplie, le chuchotement de ces officiants d’une cérémonie funèbre contemporaine. C’est, devant l’obscénité opportune et volontaire de cette proposition, une expérience émotionnelle ardue qui fait appel à notre conscience, nos engagements intimes, notre responsabilité tant personnelle que collective. Roméo Castelluci ouvre ici tous les charniers de l’Histoire, passés, présents et futurs que des pelletées de terre jetées sur eux ne peuvent jamais refermer. L’Histoire se répétant n’est que résurrection des mêmes génocides et massacres et des mêmes réparations : « Ô mort toujours victorieuse te voici maintenant vaincue ». La pluie battante succède à la musique et déchirant le silence efface désormais toute trace. Seule une combinaison blanche laissée volontairement sur le sol détrempé, étrange et fragile stèle, invite au devoir de mémoire.
© Monika Rittershaus
Résurrection (symphonie n°2), musique de Gustav Mahler
Direction musicale Esa-Pekka Salonen, assistée de Aleksandra Melaniuk et Eu-Lee Nam
Orchestre de Paris-Philharmonie, chœur de l’Orchestre de Paris
Mise en scène, décors, costumes, lumières de Romeo Castellucci
Dramaturgie : Piersandra Di Matteo
Soprano : Julie Roset
Alto : Marie-Andrée Bouchard Lesieur
Chef de chœur : Richard Wilberforce
Collaboration à la mise en scène : Filippo Ferraresi
Collaboration au décors : Alessio Valmori
Collaboration à la lumière : Marco Giusti
Violon solo invité : Sarah Nemtanu
Dresseuse équestre : Clémence Lesconnec
Photographe : Monika Rittershaus
Du 28 au 30 novembre 2024 à 20h
Durée 1h20
Certaines scènes peuvent heurter un public non averti.
La Villette – Grand Halle
211 avenue Jean-Jaurès
75019 Paris
Réservation : www.lavillette.com
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