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Re Chicchinella (le roi-poule), texte et mise en scène d’Emma Dante, Théâtre des Célestins, Lyon

Oct 12, 2024 | Commentaires fermés sur Re Chicchinella (le roi-poule), texte et mise en scène d’Emma Dante, Théâtre des Célestins, Lyon

 

© Masiar Pasquali

 

ƒ article de Paul Vermersch

Dans une forme courte et incisive, Emma Dante propose une fable loufoque autour de la question de l’engeance : qui de la poule ou de l’œuf est né en premier ; ou plutôt qui du roi ou de la poule devient l’autre en premier, puisque c’est ici la question.

Une forme très vive, très chorégraphiée, où les corps des acteur.ices s’engagent très franchement dans une partition baroque, qui vient convoquer chez le spectateur l’univers des contes, de la fable.

Caquetages et royauté

L’intrigue qui tend le spectacle est la suivante : pendant l’une de ses parties de chasse, le roi décide de se soulager la panse derrière les buissons. Pris de cours par cette envie subite, il s’essuie les fesses avec une poule qui traîne par là et qu’il prend pour morte, avec ceci que la poule n’est pas morte du tout et qu’elle le mord jusqu’à même rentrer à l’intérieur de lui. Le spectacle s’ouvre sur le treizième jour de jeûne du roi, qui décide d’entamer une grève de la faim pour tuer l’animal parasite.

L’enjeu de la pièce avance ensuite doucement autour de cette thématique, alternant moments didactiques pour expliquer au public la situation et scènes plus concrètes, où la Cour essaie de faire manger le roi ou d’extraire l’animal de son royal tube digestif. Finalement, dans une ultime scène d’extraction ou d’accouchement (l’utilisation d’un forceps pour extraire la poule nous met sur cette piste), le roi meurt, et la poule finit par sortir, dans une mystique qui n’est pas résolue, le roi est-il devenu la poule ou la poule s’est-elle juste libérée du roi ? Le texte est volontairement flou à cet endroit, manière sûrement d’ouvrir sur la question de la transformation, de la métamorphose, qui n’est pour autant pas traitée scéniquement.

Si l’intrigue du spectacle séduit assez par son originalité et quelque part aussi par son audace – car la forme fonctionne bien, les scènes à la portée clairement comique font rire (d’un rire un peu gras tout de même), l’histoire se raconte malgré l’absurdité des situations et l’on croît assez franchement à ce qui advient – c’est finalement l’aspect chorégraphique et plastique que l’on retiendra davantage de cette forme. En effet, la Cour du roi, composée d’une dizaine de comédien.nes apparaît à plusieurs reprises et séduit par un travail autour du corps qui nous saisit vivement. Se dandinant dans des costumes à inspiration burlesque, la cour ressemble bel et bien à une petite troupe de poules, gloussant, ricanant, toutes ensembles, mues par une physicalité homogène et reconnaissable. C’est cette physicalité toute particulière qui se déploie dans les scénettes et qui fait rire, en convoquant un ridicule outrancier, souvent accompagné par des airs d’opéras italiens très sérieux. Globalement, c’est ce travail autour des figures qui retient l’attention : les figures sont caricaturales et la caricature est riche de subtilité, l’engagement des comédiens dans ce projet très grand et opérant. Des jeux avec la nourriture, des lip-syncs sur fond d’arias classiques, un peu de jonglerie, les effets scéniques et comiques s’enchaînent, divisant ainsi le spectacle en plusieurs tableaux humoristiques, pas forcément reliés entre eux, et qu’on sent assez loin de l’intrigue principale longtemps exposée dans la scène d’introduction ; comme si finalement toute l’histoire était plutôt le prétexte au déploiement d’une esthétique scénique propre à la metteuse en scène plus qu’une vraie résolution narrative.

Et c’est finalement ce qu’on peut reprocher au spectacle, le manque d’échappée : les quelques dialogues qui prennent le temps de s’installer viennent creuser des clichés sur les différences culinaires entre la France et l’Italie, quelques symboles religieux sont disséminés de part et d’autre dans le spectacle mais sans qu’on puisse faire vraiment de correspondances très concrètes avec ce qui advient au plateau. On sent que ce qui se raconte pourrait s’ouvrir un peu, la forme reste finalement très renfermée sur elle-même, sur ses sketchs, ces tableaux comiques, et on aurait envie que ce qui se dit sur scène finisse par parler pour un peu plus grand que soi.

On notera le dernier tableau du spectacle particulièrement plastique, car si le projet reste assez sobre scénographiquement (sans matiérage au sol, plateau nu, etc.), la mort du Roi est assez saisissante : dans une lumière d’Église, la Cour endeuillée vient dessiner autour du corps recroquevillé une sorte de cage avec des Prie-Dieux, devant une croix électrique qui clignote en bleu néon. La Cour se recueille autour du mort et, sans qu’on ne sache vraiment d’où, une vraie poule finit par apparaître au cœur de l’assistance agenouillée. Un dernier tableau qui ressort parmi les autres, où l’on sent la forme traversée par une spiritualité un peu indéfinie, qui fait du bien dans ce qu’elle vient évoquer d’autre que ce que le spectacle déploie.

 

© Masiar Pasquali

 

 

Re Chicchinella, texte et mise en scène d’Emma Dante

Lumières : Cristian Zucaro 

Avec : Angelica Bifano, Viola Carinci, Davide Celona, Roberto Galbo, Enrico Lodovisi, Yannick Lomboto, Carmine Maringola, Davide Mazzella, Simone Mazzella, Annamaria Palomba, Samuel Salamone, Stéphanie Taillandier, Marta Zollet

 

Du 9 au 13 octobre 2024 à 20h

Le dimanche à 16h

Durée : 1h30

 

Théâtre des Célestins

4, rue Charles Dullin
69002 Lyon

 

Réservations : 04 72 77 40 00

https://www.theatredescelestins.com/fr/programmation/2024-2025/grande-salle/re-chicchinella

 

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