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« Quoi » écriture et mise en scène de Marc Vittecoq, au Théâtre de la cité internationale

Oct 14, 2015 | Commentaires fermés sur « Quoi » écriture et mise en scène de Marc Vittecoq, au Théâtre de la cité internationale

Article d’Anna Grahm

 

© DR

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Quoi cherche à saisir les nouveaux comportements humains. Leur déliquescence, leur cynisme. Le dispositif scénique est aménagé en demi cercle, un peu comme un cirque, le plateau est nu et les acteurs sont assis parmi les spectateurs et se changent et interviennent à vue.

L’histoire ne se laisse pas raconter. D’ailleurs y en a-t-il encore une ? Des bribes de l’ancienne peut-être. Du temps où il existait encore des relations entre les gens, avant les rapports marchands. Quoi c’est six personnages en quête d’une vie meilleure mais qui ont bien du mal à exprimer la moindre revendication. Car dans cette arène où chacun à tout moment peut être révoqué, tous préfèrent s’employer à n’avoir aucune opinion.

Quoi c’est la dignité qui s’efface, ce sont les déchirures du tissu social et l’émiettement des hommes et des femmes qui le composent. C’est l’apathie collective face à l’incertitude qui les cerne. C’est l’expression d’une passivité souterraine face à un pouvoir écrasant. C’est la figure mourante d’Anna Pétrovna, l’amoureuse malade, la convertie, la reniée, abandonnée par tous. C’est l’intrication de la complexité d’aujourd’hui, du théâtre dans le théâtre, de l’entremise du théâtre pour dire ce qui reste d’humanité.

Quoi c’est la raison souveraine de l’entreprise qui lamine ses employés et élimine d’eux tout discernement. C’est le bien-être omniscient qui devient mal être, c’est l’acceptation qui se transforme en renoncement. Qui fait des tragédies à répétition des presque comédies. Ce sont ces couples qui se lancent dans des bouts de scènes mais qui se révèlent bien incapables d’aller l’un vers l’autre. Quoi c’est tout ça. De l’amour qui se dérobe, qu’on peine à distinguer. Des gens en fuite. En galère. Des morceaux du monde complètement déglingué. De la société qui se déballonne sans même se battre, sans jamais parvenir à en débattre.

Quoi c’est un miroir brisé, c’est l’agonie d’un démantèlement, où chacun est une pièce du puzzle qui tremble d’être avalé par cette main invisible du marché que nul ne peut saisir, ni s’approprier, et qui décourage les individus, où la seule façon de rester en vie c’est de réclamer au moins son destin d’esclave.

Quoi c’est la liberté individuelle constamment mise à l’épreuve, qui rêve d’agir au mieux et qui finit toujours par obéir à une volonté supérieure qui a du meilleur une toute autre conception.

Quoi c’est un processus à l’œuvre. Celui de l’argent et de ses dettes sans cesse renouvelées. Celui du petit personnel qu’on vire à la pelle. Celui de l’indifférence sans aucune amertume. Sauf pour ce chanteur du dimanche qui compose sur sa guitare de petits airs sombres. Lui, comme les autres, ne se révolte pas, mais balance sa désespérance, et comme les autres, s’écroule sur sa chaise, laisse balloter ses bras, tout comme les autres qui s’évitent ou se manquent, se retrouve, comme eux, en déshérence.

Quoi parle de ça. De ces héritages écrasants. De cette attente qui ne mène nulle part. De ces je sans altérité, de ces jeux de rôles qu’on invente pour se faire croire qu’on existe encore un peu.

Mais Quoi ça dit quoi d’autre ? Pourquoi la destruction du travail, de l’intime, pourquoi les ruines de l’imagination, les sales petits boulots. Bien évidemment ça cible le système libéral et l’entregent sur le dos des petites gens. Et puis quoi ? On baisse les bras, on hausse les épaules ? On regarde son ombre au soleil et on expulse sa colère, vissé à l’accordéon ?

Le spectacle, un peu opaque, un peu brouillon, procède de l’éparpillement, convoque le délitement et l’incapacité à agir. Le sujet ne sait plus quoi faire de ce semblant de liberté, laquelle le laisse bien seul face à ces décisions. Quand le gouvernement des hommes et des femmes est en train de disparaître qu’est-ce qu’on fait de sa responsabilité : on reste coi, on quitte tout ?

Si le collectif s’empare des constats, il ne répond à aucune question et n’augure du futur que la recherche de l’infiniment petit qu’il pose au cœur d’un grand déballage. Et tous ceux qui ne seraient pas déjà avertis de la catastrophe en cours sont désormais prévenus qu’ils sont en voie d’extinction. Mais comme le public ne cesse de se demander pourquoi tout ça, alors les conséquences de Quoi le remettent à sa juste place, et comme presque n’importe qui, le met face à ses devoirs d’être en devenir.

 

Quoi
Mise en scène et écriture Marc Vittecoq
Lumière Fabrice Ollivier
Jeu et écriture collective Margot Alexandre, Jean-Baptiste Azéma, Caroline Darchen, Raphael Defour, Nans Laborde-Jourdàa, Tamaïti Torlasco

Du 12 au 24 octobre 2015
Lundi, mardi, vendredi 20h30, jeudi et samedi 19h30, relâche mercredi et dimanche

Théâtre de la cité internationale
17, Bd Jourdan – 75014
Réservation 01 43 13 50 50
www.theatredelacite.com

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