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Qui a tué mon père, d’Édouard Louis, mis en scène par Thomas Ostermeier, au Théâtre de la Ville – Les Abbesses

Sep 21, 2020 | Commentaires fermés sur Qui a tué mon père, d’Édouard Louis, mis en scène par Thomas Ostermeier, au Théâtre de la Ville – Les Abbesses

 

 © Jean-Louis Fernandez

 

ƒƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier-Cassia

 

Alors que les spectateurs s’installent, masqués, et continuent pour certains de discuter avec leur(s) voisin(s), Édouard Louis, vêtu d’un sweat à capuche, pianote sur son ordinateur portable, comme un ado à son petit bureau, une lampe posée sur une chaise, concentré sur son écran.

Car Édouard Louis n’a pas besoin de beaucoup forcer le trait pour nous raconter son enfance, avec sa silhouette gracile, ses regards et sourires à la fois cajoleurs et timides, sa démarche parfois gauche, comme embarrassé par sa taille, son corps. Un corps omniprésent qui se caricature parfois pour mieux se conter.

En fond de scène, un grand écran laisse défiler une route brumeuse. Le brouhaha de la salle cesse quand une voix off se fait entendre, pas très distincte, où l’on perçoit quelques mots comme « auscultation », « artères » … À jardin, un fauteuil en cuir noir nous tourne le dos, en devant de scène, un micro attend.

Dans Qui a tué mon père, commandé par le comédien et metteur en scène Stanislas Nordey, a d’abord été publié (au Seuil en 2018 et dédié à Xavier Dolan) avant d’être joué sur les planches, Édouard Louis se livre sur son enfance. C’est son troisième texte autobiographique, après En finir avec Eddy Bellegueule et Histoire de la violence. Ce deuxième récit a été mis en scène la saison dernière la saison dernière, par Thomas Ostermeier, dans ce même théâtre de la Ville, délocalisé aux Abbesses.

Qui a tué mon père également mis en scène par Thomas Ostermeier, après une création par Stanislas Nordey en 2019 au théâtre de la Colline, est un monologue. Une adresse au père, 1 h 20 durant, à ce père malade qui ne pourra jamais répliquer, ni dire sa propre version de sa relation avec son fils cadet. Si le monologue est prononcé essentiellement d’une voix monocorde, assistée par des micros aux trois endroits de la scène qui forment un triangle de jeu, il est scéniquement très rythmé, tout en ménageant de beaux moments de silences. L’auteur devenu interprète de son texte et de son propre personnage dans la vie, passe de son bureau, à une chaise de jardin en plastique blanc qu’il porte près du fauteuil où ses regards sont constamment tournés. Ce fauteuil, où l’on imagine le père même si le fils finit par s’y installer, emmitouflé dans une grande couverture, quand il n’est pas en train de se déhancher au micro sur pied en milieu de plateau pour interpréter, tel encore une fois un ado dans sa  chambre, Barbie Girl » d’Aqua, Hit me baby de Britney Spears ou le tube du film Titanic par Céline Dion. Les images qui défilent sur l’écran s’adaptent en cadence ou en couleurs, avec quelques très belles minutes en noir et blanc sur l’hypnotique Almost good enough de Magnolia Electric & co.

Tout en narrant sa relation avec son père, il raconte l’histoire de ce père, entre amour et haine, entre séduction et répulsion, alternant anecdotes et traumatismes avec des réflexions sociologiques et politiques – qui débutent d’ailleurs la pièce par des considérations sur le racisme, corrélées avec l’homophobie – et des travestissements ponctuels (perruque blonde, jupe courte, cape et masque de Zorro, tee-shirt Pokémon…)

Car toute la démonstration d’Édouard Louis dans Qui a tué mon père consiste à donner un contenu politique au récit et une explication à la psychologie du père « qui n’a pas toujours été comme ça. » Édouard Louis entend démontrer qu’il existe des mécanismes de domination sociologiques qui produisent des déterminismes de classes. Et la pièce se termine d’ailleurs par un règlement de compte politique ad personam, « épinglant » les responsables politiques de Chirac à Emmanuel Macron en passant par Sarkozy, Hollande et certains de leurs ministres.

Cet acte III fait toutefois retomber le soufflé de l’émotion irrépressible qui se dégageait dans la première partie du spectacle et suscite certainement des avis tranchés. On est touché ou pas par cette exposition de l’auteur-interprète. Mais il existe, sur le plan dramaturgique, une césure qui casse ce qui aurait dû traduire la continuité intellectuelle du récit. Les portraits officiels des présidents successifs de la République française sur un quart de siècle, suspendus à un filin en fond de scène aux côtés des symboles corporels des mesures phares de leurs mandats (déremboursement de médicaments, RSA, loi « Travail, retrait de cinq euros des aides au logement) : les intestins, le squelette, les poumons des « assistés », des « fainéants », des « exclus », des « sans dents » (l’auteur ne reprend pas cette expression), servent d’allégorie kitsch à l’une des phrases chocs du texte :« L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique. » On attendait sans doute autre chose de Thomas Ostermeier et on a peut-être tort car la césure existe dans la narration elle-même, qui passe de l’auto-analyse subtile au pamphlet politique sans nuance.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

Qui a tué mon père d’Édouard Louis

Mise en espace : Thomas Ostermeier

Vidéo : Sébastien Dupouey et Marie Sanchez

Dramaturgie : Florian Borchmeyer

Scénographie : Nina Wetzel

Lumière : Erich Schneider

Costume Caroline Tavernier

Dramaturgie Élisa Leroy

 

Avec : Édouard Louis

 

Du 9 au 26 septembre 2020

Du lundi au samedi à 20h

Durée 1 h 20

 

Théâtre de la Ville – Les Abbesses

31 rue des Abbesses – Paris 18ème

 

Réservation 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

 

 

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