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Prenez garde à son petit couteau, d’après Lorenzaccio d’Alfred de Musset, projet de la compagnie L’Heure avant l’Aube, au Monfort

Nov 08, 2021 | Commentaires fermés sur Prenez garde à son petit couteau, d’après Lorenzaccio d’Alfred de Musset, projet de la compagnie L’Heure avant l’Aube, au Monfort

 

© Bénédicte Karyotis

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Plus dure sera la chute… Adaptation contemporaine de Lorenzaccio de Musset, Prenez garde à son petit couteau voit le héros éponyme, et pour sa perte, en lanceur d’alerte. De Musset, il n’y a ici que des lambeaux de textes disséminés ici ou là dans cette transposition libre et acide de ce chef-d’œuvre. Loin des palais de la Renaissance, c’est à Bercy, dans l’austère bureau du ministre des finances, monsieur Le Duc, que tout se passe, à huis-clos. Entre le Cardinal, haut fonctionnaire, la Marquise directrice de la communication, et Le Duc, se joue une comédie grinçante du pouvoir. Ambition, manipulation, désinformation, corruption, financement occulte, ballets roses ou bleus… toutes ressemblances avec des personnages réels ne seraient pas si fortuites bien au contraire. Lorenzaccio acteur et témoin de ce système pourri jusqu’à la moelle balance et devient le martyr lynché pour ses actes, à son tour manipulé au profit des puissants dénoncés qui en tirent cyniquement profit.

Création collective et écriture de plateau, Céline Fuhrer, Jean-Luc Vincent, tous deux de la meute des Chiens de Navarre, Gaëtan Peau réunis par Matthieu Poulet, dézinguent à tout va. C’est un joyeux et jubilatoire jeu de massacre qui pilonne allègrement les arcanes peu ragoutants du pouvoir. Satire irrévérencieuse et parfaitement assumée qui résume au vitriol ces quelques dernières années de notre monarchie présidentielle qui voit aujourd’hui certains responsables politiques devant les tribunaux. Ils n’y vont pas de main morte, c’est vrai, ces quatre-là qui avec un humour décapant et railleur font un constat lucide et accablant des arrières cuisines du pouvoir. Entre le cynisme assumé des personnages, la communication politique où les éléments de langage pour ne pas dire la langue de bois se substitue à la véracité des faits, la peopolisation à outrance… C’est un marigot où les ambitions des uns et des autres font fi des valeurs et de la vertu républicaine. Compromis et compromission, trahisons, tout est bon pour atteindre le sommet, la présidence. Le pouvoir corrompt, pourrit et tue l’innocence. C’est tout ça et plus encore qui est ici joué, dans cette comédie explosive qui se termine en tragédie.

Etrange mise en scène à vrai dire qui hésite entre la comédie de boulevard et le documentaire, le soap-opera et la tragédie contemporaine. Et cette dernière option est sans doute la moins convaincante. Là, quelque chose dans ce renversement semble ne plus fonctionner. On peut être aussi dérouté ou agacé, par cette hybridation, ce mélange des genres, c’est vrai, le ton particulier qu’elle oblige, mais ce qu’il faut sans doute retenir c’est cette parole qui circule et là c’est un vrai régal. Il y a comme une captation singulière de l’air du temps, mis sous la loupe et la coupe réglée de ces quatre larrons en foire, une justesse aussi terrible soit-elle, dans le constat d’une époque délétère et pas très folichonne. C’est la force de ce collectif d’en transposer les maux et de les balancer sans filtre sur le plateau. Ce n’est certes pas du Musset, qui émerge cité ici où là, mais c’est formidablement bien écrit. D’autant plus qu’ils reprennent avec grande causticité les éléments de langage qui faussent tout débat et qu’ils retournent, non sans jubiler, comme un gant. Un gant qui vous gifle salement. Il faut entendre Céline Fuhrer, formidable en Marquise sponsorisée par les grandes marques de luxe, transposer pour la presse complaisante les propos et les bourdes de son ministre, pour comprendre combien la langue participe aussi de la manipulation. Hilarant, mais des plus inquiétant. C’est donc peut être ça qu’il faut retenir de cette création, au-delà de cette terrifiante et hilarante tragi-comédie du politique broyant ceux qui la dénonce, une langue ici décapée et dépiauté jusqu’à l’os qui participe aux enjeux du pouvoir. La langue aussi est un couteau.

 

© Bénédicte Karyotis

 

Prenez garde à son petit couteau d’après Lorenzaccio d’Alfred de Musset

Un projet de la compagnie l’Heure avant l’Aube

De et avec Céline Fuhrer, Gaëtan Peau, Matthieu Poulet, Jean-Luc Vincent

Scénographie François Gauthier-Lafaye

Costumes Elisabeth Cerquiera

Création sonore et régie générale Isabelle Fuchs

Création lumière Philippe Sazerat

Musique originale Christophe Rodomisto

 

 

Du 4 au 13 novembre 2021 à 20 h

Durée estimée 1 h 30

 

 

Théâtre le Monfort

106 rue Brancion

75015 Paris

Réservations : 01 56 08 33 88

www.lemonfort.fr

 

 

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