Critiques // « Pour les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain », de Pina Bausch, au Théâtre de la Ville

« Pour les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain », de Pina Bausch, au Théâtre de la Ville

Mai 24, 2015 | Commentaires fermés sur « Pour les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain », de Pina Bausch, au Théâtre de la Ville

ƒƒƒ article de Florent Mirandole

Portée à bout de bras par un danseur, une femme rejoint progressivement le sol en s’aidant de son porteur qui crée avec ses mains une nouvelle marche d’escalier à chaque pas. Cette petite scène d’une infinie tendresse témoigne du ton léger et tendre d’une des dernières pièces de Pina Bausch. Pour les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain dessine à travers une multitude de petites scènes intimistes un tableau subtil de l’émotion des premiers amours. « Premiers » parce que tous semblent s’amuser comme des enfants, au point de confondre légèreté et insouciance. Que répondre à une femme lorsque celle-ci vous rit au nez après une déclaration d’amour? « Et si nous commencions petit, 10 minutes d’amour » propose alors le doyen de la troupe Lutz Forster. Si les thèmes récurrents de la chorégraphe, la solitude ou la violence de l’amour, percent à quelques reprises, Pina Bausch semble avoir préféré composer une pièce sur le jeu amoureux avant tout, plutôt que sur l’amour passionnel qui consume. Pas de détresse ni de désespoir derrière les rires et les mouvements des danseurs, les jeux de séduction sont d’abord un motif d’amusement et de badinerie. Au point que les hommes et les femmes abandonnent volontiers l’art de la séduction pour jouer. Lorsque l’entracte sonne alors que la troupe bâtit un château de sable sur scène, les danseurs continuent à faire des pâtés, insouciants et ensemble.

_P9Q6827© Amir Safir Filho

A force de jouer sur le badinage, quelques scènes flirtent franchement avec la niaiserie de l’enthousiasme adolescent. Ainsi lorsque les femmes perchées sur le dos des hommes agitent leur bras de concert, la tendresse disparaît un peu pour laisser apparaître un vol d’oies blanches un brin ridicule. Ces quelques scènes « fleurs bleues » n’empêchent pas de s’enthousiasmer pour les moments de poésie ou d’absolue tendresse. Une femme caresse le corps d’un homme avec le sommet de son crâne, et une autre se fait les ongles avec la mèche de cheveux d’une amie. Si l’on ne s’ennuie jamais, l’impression de passer simplement un très bon moment domine.

Pourtant cette légèreté n’en est pas moins solidement encadrée par deux scènes éprouvantes, rappelant, s’il était nécessaire, que le badinage de Pina Bausch n’a rien d’innocent. D’abord ce jeu de bascule entre deux hommes assis sur une table en guise de scène d’ouverture. Basculant sur le côté, le premier est retenu in extremis par la main de son ami qui lui attrape la cheville. On flirte avec le drame, on a vu l’homme vaciller. Cette scène attendra son écho jusqu’à la scène finale. Les 10 dernières minutes libèrent enfin l’énergie d’une troupe qui ne veut plus s’amuser. Comme un vent de rage, la pièce s’élève là où Pina Bausch permettait à la danse de s’élever. Les hommes haletants, pour la première fois de la pièce réunis ensemble, déploient leur corps avec une langueur furieuse, avant de laminer l’espace de gestes vifs et brutaux au son d’une voix déchirée. On est emporté par cette grâce unique qui mêle aux sentiments les plus simples les aspirations les plus universelles. Cela ne fait pas mal, mais la pièce touche au cœur, au trop intime.

Für die kinder von gestern, heute und morgen (Pour les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain)
Mise en scène et chorégraphie Pina Bausch
Décors Peter Pabst
Costumes Mario Cito
Collaboration musicale Matthias Burkert, Andreas Eisenschneider
Collaboration Marion Cito, Daphnis Kokkinos, Robert Sturm
Directeur artistique Lutz Förster
Directeur général Dirk Hesse

Avec les danseurs du Tanztheater Wuppertal :
Regina Advento, Pablo Aran Gimeno, Andrey Berezin, Ales Cucek, Clementine Deluy, Cagdas Ermis, Ruth Amarante, Scott Jennings, Daphnis Kokkinos, Eddie Martinez, Thusnelda Mercy, Cristiana Morganti, Breanna O’Mara, Franco Schmidt, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Aida Vainieri, Anna Wehsarg, Paul While, Ophelia Young, Tsai-Chin Yu

Du 21 au 30 mai 2015
Du lundi au samedi à 20h30, relâche le mercredi, dimanche à 17h

Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet – 75004
01 42 74 22 77
www.theatredelaville.com

Be Sociable, Share!

comment closed