© Michel Slomka

ƒƒ  article de : Corinne François-Denève

Au début résonne dans le théâtre la vraie voix de « Simone », pressée, précise et impérieuse : « être femme, ce n’est pas une donnée naturelle », variante du « on ne naît pas femme, on le devient ». Cette parole liminaire, authentique, est toutefois trompeuse. Comme le titre l’indique, on n’entendra pas ici la femme « intellectuelle », qui viendrait nous parler du deuxième sexe ; la figure qui sera évoquée sera celle de la femme qui vibre sous la penseuse (qu’on ne voie aucun mauvais esprit dans cette formulation hasardeuse, mais ô combien adaptée au propos) : ce sera « Simone » donc, lorsqu’elle écrit à « ses amants » (curieuse expression, présente dans le programme, pour désigner les auteurs Sartre, Bost et Algren) et qu’ils lui répondent.

Certes, on arguera qu’est aussi exposée la théorie des « amours contingentes » (en fait un pratique arrangement postulant la possibilité d’amours non exclusives). N’est pas Merteuil qui veut cependant : « Simone » souffre, aime, et l’écrit. Il semblerait que des publicitaires se soient émus, pendant l’été, du choix de l’affiche, reprenant la fameuse pose de Simone au miroir, nue, de dos, photographiée par Algren. Il n’y a à vrai dire pas de quoi fouetter un.e chat.te dans cette philosophie dans le boudoir. Le propos est rarement licencieux. On découvre au contraire un Castor midinette – d’autant que la lecture des lettres les plus « sentimentales » est souvent accompagnée d’effets de lumière « mélancoliques » et d’une petite musique « romantique ».

C’est Anne-Marie Philipe qui mène la danse : elle a mis en scène le spectacle, et se fait le guide du public, resituant la chronologie (la pièce commence en 1939, quand Bost, puis Sartre, vont être confrontés à la guerre, et se termine à la rupture avec Algren), évoquant brièvement la biographie de tel ou tel personnage. Le dispositif scénique qu’elle a adopté est minimaliste – quatre fauteuils, un peu de whisky, une pipe et des lunettes pour Sartre, une chemise à carreaux pour Algren – pas de turban pour Simone. Tout est fait pour mettre en valeur les textes ; les personnages sont incarnés tour à tour par Anne-Marie Philipe et trois jeunes comédiens, la pièce est clairement scindée en deux parties – la France/les Etats-Unis, autour d’un avant-après Algren – dont on nous rappelle bien qu’elle emporte l’anneau dans sa tombe, tombe qu’elle partage avec Sartre, tandis que le fidèle Bost veillera sur leur héritage intellectuel. Les lettres choisies permettent de lire un trajet sentimental qui se déroule à travers l’histoire du siècle. Elles sont à la fois pleines d’esprit, de tendresse, de joie, de douleur, et… d’amour.

Comme pour toute mise en scène de correspondances, l’entreprise n’est pas aisée : doit-on lire à la table ? Ajouter des effets ? Au risque de trahir ce que dit le scripteur ? A ce jeu, les trois jeunes comédiens apportent leur fraîcheur et leur beauté. Lorsque vient le tour d’Anne-Marie Philippe, son grain de folie est tellement contagieux qu’on se surprend à pouffer, comme à la lecture des Mémoires d’une jeune fille rangée. Copine qui pique au Prisu, affreux ratage d’une coucherie médiocre… En dépit du plaisir que l’on prend à regarder les trois autres, on aime à se demander pourquoi Anne-Marie Philipe n’a pas porté seule sur ses épaules cette Simone-là, dans un « seule en scène » où l’on n’aurait même pas besoin d’un homme.

Pour l’amour de Simone, texte de Simone de Beauvoir « et ses amants »

Mise en scène et scénographie : Anne-Marie Philipe

Avec : Camille Lockhardt, Aurélie Noblesse, Anne-Marie Philipe, Alexandre Laval

Durée : 1 h 10

Du 29 août au 15 octobre 2017, du mardi au samedi à 18 h 30, le dimanche à 15 h

Théâtre noir
Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris

Réservations : 01 45 44 57 34

http://www.digitick.com/pour-l-amour-de-simone-theatre-contemporain-css5-lelucernaire-pg51-ei520535.html

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