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Pour autrui, texte et mise en scène de Pauline Bureau, Théâtre National de la Colline

Sep 25, 2021 | Commentaires fermés sur Pour autrui, texte et mise en scène de Pauline Bureau, Théâtre National de la Colline

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

f f f article de Denis Sanglard

Il est des créations qui comme ça frappent fort, sans tambour ni trompette, et vous marquent durablement. Le choix du sujet en premier lieu mais son traitement aussi. Pour autrui, dernier opus de Pauline Bureau, est sans nul doute l’un des spectacles les plus marquant de cette rentrée, d’une infinie délicatesse, d’une vérité drue, et d’une intelligence rare. Poétique, aussi. Et pourtant avec un sujet aussi polémique, encore à vif, que la gestation pour autrui, le pari était risqué. Mais loin de toute provocation, loin de toute démonstration en force, Pauline Bureau offre au contraire une formidable leçon d’humanité. Déjà avec ce titre Pour autrui, éludant volontairement le premier terme, on comprend très vite qu’il s’agit bien plus que de gestation mais au contraire de quelque chose de bien plus rare et précieux ; de ce désir d’enfant malgré tout, de la définition de la famille aujourd’hui, et de ce don inouï et généreux d’une femme qui accepte de porter l’enfant d’une autre. Avec toutes les questions, les bouleversements que cela implique. Ainsi en déplaçant le sujet dans le champs intime et familial, volontairement loin du politique et du publique, elle désamorce tout débat ou du moins le diffère, pour n’exprimer que la banalité exceptionnelle (tant pis pour l’oxymore) d’une situation particulière au sein de deux couples ayant choisi de donner la vie.

Cela commence comme une belle histoire romantique. Un avion annulé, une voiture que l’on partage et la passion qui naît entre ces deux-là que tout semble opposer. L’enfant à paraître, la fausse couche, le cancer et l’ablation de l’utérus. La colère, l’incrédulité. Et ce désir d’enfant qui vous taraude, qui mine le couple. Puis cette solution possible qu’un docteur incidemment vous suggère. Parce qu’une famille aujourd’hui n’est plus celle de naguère, que la filiation charnelle vaut autant que la filiation élective, que le parent d’intention, tel est le vocabulaire, a « (…) bel et bien fait naître l’enfant (…) » comme le dit justement Irène Théry*. Et cette femme, non, ce couple parce que c’est aussi une question d’homme on le verra, au-delà de l’océan, qui accepte de porter l’enfant de Liz et d’Alexandre. Et ce sont neuf mois d’attente, de doute, d’échange, de douceur, de bonheur fou où chacun à sa façon, à son endroit, d’un bout à l’autre de l’océan, donne la vie. Et dans cette superbe et ingénieuse scénographie qui fait corps avec le texte et sa dynamique interne, c’est un évènement singulier que Pauline Bureau met en scène avec grande justesse. Rien de didactique, rien de théorique, sans préjugés aucun, mais le cœur battant d’une expérience intime et universelle, être parent, faire famille. Tout simplement. Une mise en scène d’une grande fluidité, élégante même, qui sait prendre son temps et quelques chemins de traverses sans s’égarer, jamais, où surgit parfois de façon joliment incongrue la poésie, de belles trouvailles de mise en scène qui emmènent le récit au-delà de la fable même et dont il ne faut rien dire, ne pas éventer la surprise. Rien d’austère donc. Le silence y a sa part aussi, beaucoup, et dans lequel s’engouffre et palpite une formidable humanité qui se passe évidemment de tout discours mais vous fiche un drôle de coup. Les acteurs, dirigés au cordeau, sont au diapason, avec un talent monstre pour exprimer ce carrousel d’émotion qui chamboule leur personnage au long de ces neuf mois. Engagés, à cœur on le sent, à défendre cette partition fragile, ce texte remarquable, c’est fort bien écrit il faut le souligner, qui n’élude rien des questions que chacun se pose, des difficultés rencontrées, de la violence parfois des situations, mais qui ne fait aucun compromis sur son sujet parce qu’il y a là exprimée avec force conviction, tout en douceur, une vérité têtue puisant sa source dans notre monde contemporain, le monde tel qu’il va aujourd’hui, ses enjeux sociétaux qui bouleversent nos préjugés idiots, hérissant les tenants d’une moralité réactionnaire…

En cela Pauline Bureau reste fidèle à ses engagements qui posent la question du corps de la femme au sein de notre société, un corps par force politique puisqu’encore dépossédé par le législatif déconnecté de la réalité qui décide en lieu et place d’icelle de ce qu’il convient de faire ou pas. C’est pourquoi la pièce ne s’arrête pas à la naissance mais à la tentative réitérée d’inscrire l’enfant à l’état civil français malgré le dogmatisme obtus de l’administration à contre-courant d’une réalité factuelle. Et au-delà encore puisque Océane, la bien-nommée, celle qui a traversé l’océan, cette enfant devenue adulte prend la parole et se raconte, conclue cette création. Pauline Bureau acte ainsi que son histoire ne se résume pas à la genèse singulière de sa naissance, qui n’est que le prélude somme tout ordinaire, ou qui devrait l’être désormais, d’une vie.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

Pour autrui, texte et mise en scène de Pauline Bureau

Avec Yan Burlot, Martine Chevallier, Nicolas Chupin, Rébecca Finet, Sonia Floire, Camille Garcia, Maria Mc Clurg, Marie Nicolle, Anthony Roullier, Maximilien Seweryn, Rose Josefsberg et Jason Kitching

 

Scénographie et accessoires : Emmanuelle Roy

Composition musicale et sonore : Vincent Hulot

Costumes : Alice Touvet

Vidéo : Nathalie Cabrol

Lumières : Laurent Schneegans

Dramaturgie : Benoîte Bureau

Collaboration artistique : Cécile Zanibelli et Lea Fouillet

Perruques, coiffures et maquillage : Catherine Saint-Sever

Construction marionnettes : Carole Allemand et Sophie Coeffic

Conseil en manipulation des marionnettes : Jean-Michel D’Hoop

Manipulation des marionnettes : Camille Garcia

Conception des surtitres : Uli Menke

Traduction en anglais : David Pickering

Traduction en arabe : Mireille Maalouf

Cheffe opératrice tournage : Florence Levasseur

Cadreur tournage : Jeremy Secco

Régie générale : John Carroll

 

*Irène Théry, Mariage et filiation pour tous, Ed. du Seuil, 2016

 

 

Du 21 septembre au 17 octobre 2021

Le mardi à 19 h 30, du mercredi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 15 h 30

 

 

Théâtre National de la Colline

15 rue Malte Brun

75020 Paris

 

Réservations 01 44 62 52 52

www.billeterie.colline.fr

 

 

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