Critique d’Ottavia Locchi –
Le jeune Poil de Carotte passe son été chez les Lepic, ses parents. Entouré d’une mère tyrannique, d’un père taiseux et d’un frère (un peu trop) exemplaire, le jeune homme ne trouve pas sa place et obéit au doigt et à l’œil à cette mère qu’il redoute par-dessus tout. L’arrivée de la nouvelle servante Anette va décadenasser la relation qu’il a avec son père… Il arrivera enfin à faire parler son taciturne de papa, qui se rendra compte lui-même de l’image lointaine qu’il avait de son ainé. La mère, quant à elle, changera sans le vouloir dans le regard impitoyable de son fils.
Au-delà de la relation conflictuelle que tout enfant peut entretenir avec ses parents, « Poil de Carotte » nous parle surtout des malentendus qui se glissent subrepticement dans la famille, jusqu’à être des piliers de malentendus, de non-dits, et jusqu’à forger la personnalité du jeune homme.
© Cosimo Mirco Magliocca
« Je voudrais quitter cette maison (…) parce que je n’aime plus ma mère »
Jules Renard (1864 – 1910) a adapté son roman au théâtre trois ans après la parution de celui-ci, en 1897. Le fait de resserrer l’action en un acte renforce la puissance de l’entrevue avec son père, tout en laissant la terreur de la mère intacte « Elle me terrifie au point que si j’ai le hoquet, ça s’arrête ». Le caractère méchant de Poil de Carotte très présent dans le roman s’efface sur scène pour laisser place à un enfant en mutation, prêt à devenir adulte.
La mise en scène de Philippe Lagrue insiste sur le huis-clos qu’est cet unique acte d’aveux. La scénographie de Franck Walega aide à la fois dans l’authenticité de la cabane où se réfugient les deux hommes et à l’omniprésence de la mère qui veille et qui hante leurs esprits, en apparaissant par la fenêtre en vrai ou en rêve. Quelques jeux d’ombres ne donnent que plus de crédibilité à cette gigantesque mère-tourmente.
Chaque personnage reste dans une justesse sobre qui convient parfaitement à l’univers de Jules Renard. On revient dans une vieille France de Maupassant avec les enfants non-désirés, les drames silencieux « mon premier suicide était une gaminerie », les conflits émouvants, la campagne rustique et les servantes coquettes.
© Cosimo Mirco Magliocca
La Comédie Française nous offre un « Poil de Carotte » un peu terne, revêche, cherchant à fuir cette mère qu’il abjecte et rencontrant un père qu’il ne soupçonnait pas. Où est passée cette énergie juvénile ? Heureusement, la servante Anette réveille avec ses petits éclats de rire et Monsieur Lepic émet quelques grognements fort à propos. Le jeune homme, incarné par Benjamin Jungers, manque de cette vitalité qui caractérise les jeunes gens de seize ans, bien que ses mimiques bougonnes et son attitude reflète l’enfant boudeur qu’il se félicite d’être.
La bonne surprise de cette représentation est que monsieur Jules Renard lui-même apparaît en voix off (avec quelques phrases extraites du romans et d’autres écrits projetés sur un écran) avant et après le jeu scénique, ce qui donne au spectacle la dimension d’un véritable hommage à l’auteur.
Poil de Carotte
De : Jules Renard
Mise en scène : Philippe Lagrue
Avec : Catherine Sauval, Coraly Zahonero, Grégory Gadebois, Benjamins Jungers et la voix de Gilles David
Scénographie : Franck Walega
Lumières : Eric Dumas
Assistante à la mise en scène : Marie-Edith Le CacheuxDu 24 mars au 8 mai 2011
Comédie Française – Studio Théâtre
Galerie du Carroussel du Louvre, Place de la Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli, 75 001 Paris
www.comedie-francaise.frReprise du 12 au 17 janvier 2012
Théâtre de l’Ouest Parisien
1 place Brenard Palissy, 92 100 Boulogne-Billancourt
Métro Boulogne-Pont de Saint Cloud – Réservations 01 46 03 60 44
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