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Plusieurs, comédie à 6 pattes, conception de Bertrand Bossard, au Théâtre de la Ville / Les Abbesses

Juin 12, 2024 | Commentaires fermés sur Plusieurs, comédie à 6 pattes, conception de Bertrand Bossard, au Théâtre de la Ville / Les Abbesses

ƒƒ article de Denis Sanglard

Bertrand Bossard et Akira, c’est une histoire d’amitié. D’amour même, oserons nous dire. Entre le comédien-cavalier et ce cheval, pur-sang lusitanien à la robe grise, c’est à la vie à la mort, copain comme cochon. Aujourd’hui qu’ils ont le même âge tous deux, un calcul particulier puisqu’une année humaine en vaut trois pour le cheval, Bertrand Bossard raconte cet attachement singulier qui depuis douze ans ne se défait pas. Double portrait se répondant, s’éclairant l’un l’autre, où Bertrand Bossard se raconte et raconte Akira. Sa passion enfant pour les chevaux, à galoper dans les forêts sur un poney sauvé de l’abattoir, débourrer les chevaux des voisins, concourir. Puis l’entrée dans la vie professionnelle, très loin des équidés. Enfin sa rencontre avec Akira, offert par la compagnie du Centaure pour laquelle il travaillait, réunissant ses deux passions, la scène et le cheval. Pas vraiment un as de la piste ce lusitanien aux oreilles pointues toujours en alerte, quelque peu cossard sans être cabot mais une histoire lui aussi, faite de pérégrinations depuis son Portugal natal jusqu’à son apprentissage au sein de la compagnie du Centaure. Bertrand Bossard ne prétend pas lui non plus être un cavalier parfait, techniquement s’entend qui se hisse aujourd’hui, péril de l’âge, un peu moins aisément prétend-il sur cet animal patient (et une séquence hilarante et très vite poétique où notre cavalier monté sur Akira impassible par la grâce d’une guinde finit par s’envoler). Mais entre ces deux-là, un coup de foudre. Un vrai. Pas évident au départ mais une attention, une affection mutuelle irraisonnée et immédiate, où chacun en chemin apprend tout de l’autre. Sur le plateau devenu piste, Akira écoute, ne dit rien mais semble n’en penser pas moins. Une prestance et surtout une sacré présence liée, oui, à une écoute attentive qui en impose et vaut mieux qu’une prise de parole inutile. Bertrand Bossard s’en charge et ne lui demande pas grand-chose, ne lui impose jamais d’exercice, un peu de galop et de monte et c’est tout. Akira est libre de ses mouvements, de son humeur. Mais ce que l’on voit, au-delà de ce que nous explique avec beaucoup d’humour et de tendresse son compagnon, c’est combien cet animal émotif a du caractère mais surtout une façon bien à lui de communiquer qui vous oblige. Rien que sa façon de regarder la salle est déjà comme une invite à l’entendre lui aussi. De fait Bertrand Bossard comprenant très vite qu’Akira en sait sans doute bien plus que lui, ce qu’il nomme intelligence émotionnelle, s’en remet entièrement à son comparse. Un rapport de confiance absolue, une complicité jamais prise en défaut et qui dans ce manège théâtral éclate avec une belle évidence. Des deux le débourré n’étant sans doute pas au final celui que l’on croit. Le portrait affectueux de ce cheval et de leur relation symbiotique éclaire surtout la relation que nous pouvons et devons avoir au vivant, une écoute attentive. Un respect mutuel. Alors que sonne pour ces deux-là l’heure de la retraite, une belle séquence clôt cette confidence d’une amitié irréfragable. Un galop dans le noir total où Bertrand Bossard « donne ses yeux » à Akira. Une belle et délicate définition qui résume si bien leur lien indéfectible ou soudain l’homme et le cheval ne font plus qu’un. Un centaure.