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Pleine Nuit, Christian Boltanski, Jean Kalman et Franck Krawczyk, Opéra Comique

Fév 22, 2016 | Commentaires fermés sur Pleine Nuit, Christian Boltanski, Jean Kalman et Franck Krawczyk, Opéra Comique

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© Stefan Brion/Opera Comique

L’Opéra Comique, la salle Favart, est un vaisseau échoué. Une salle en travaux. Fermée. Et dans ce lieu aujourd’hui déserté du public, provisoirement, errent des fantômes. Ce sont eux que le trio Christian Boltanski, Jean Kalman et Franck Krawczyk réveillent le temps d’une trop courte visite. Chapeautés d’un casque et d’une lampe frontale, par petits groupes, nous pénétrons dans ce temple de l’art lyrique assoupi. Accueilli par un brouillard épais que nos lampes découpent en faisceaux, nous errons dans un labyrinthe, les couloirs de l’opéra en chantier. Des silhouettes en longs manteaux noirs, masquées de gaze, occupés à d’étranges travaux, traversent cet espace sans se préoccuper des visiteurs que nous sommes. Une musique assourdie, une fanfare éparpillée dans les couloirs, rythme nos pas. Lamento heurté de coups de grosse caisse. Et ce brouillard qui s’insinue partout. Des néons au détour d’un couloir affichent des heures étranges, la troisième heure, la cinquième… Des loges provisoires et vides attendent d’improbables spectateurs. Soudain un grondement sourd, une longue vibration déchire l’espace qui vibre, signale la salle encagée d’échafaudages qui soudain se zèbrent d’éclairs. Un lieu devenu impraticable. Et sans le savoir nous foulons bientôt la scène… vide et désossée, rideau de fer baissée,  accueillie par une cantatrice qui nous ignore, tout entière à son aria, insouciante de la neige qui tombe sur le plateau, des crécelles qui crissent parfois et des étranges cocons pendus au cintre qui s’agitent doucement. Tout là haut, près du gril, un chœur murmure, des cuivres tintinnabulent gravement. Des chaises ici et là…

C’est un voyage poétique, étrange, inquiétant. L’occasion de découvrir la salle Favart sous un éclairage original. Salle en chantier, en attente de son ouverture en 2017, elle se métamorphose le temps d’une installation en œuvre d’art total, le réceptacle d’une étrange et nocturne cérémonie, un opéra mystérieux, secret dont elle est l’objet et le sujet, où nous sommes les personnages et les spectateurs. L’émotion est là, palpable, dans cette pénombre ajustée et ce froid pénétrant. Ce lieu, palimpseste et tombeau mémoriel de l’art lyrique, vibre de son histoire par la grâce de ce trio infernal. C’est une impression étrange, celle de pénétrer dans un vieux vaisseau exhumé, de découvrir sa carcasse nue, sans les ors et la pompe, et sur le plateau enneigé artificiellement – car tout est artifice, c’est le propre de l’art lyrique – frissonner parce que là, dans ce dénuement, des chefs d’œuvres sont nés, d’autres ont avortés, de grands artistes, disparus et vivant,  sont passés et ont laissé leurs empreintes. Christian Boltanski, Jean Kalman et Franck Krawczyk réveillent ces fantômes, les remisent malicieusement aux rayons accessoires, pendus qui se balancent dans les cintres, parce que seul compte ce lieu qui a porté et porte encore l’art lyrique. Ce bâtiment là, en chantier, lui seul importe. Plus qu’une simple visite, c’est une plongée dans un mystère que se gardent bien d’éventer nos trois complices. Qu’est-ce que l’Opéra en somme ? Quelles mémoires ces murs conservent-ils ? En dévoilant l’état du chantier, et de façon si poétique et merveilleuse, c’est aussi soulever un coin du rideau rouge et de révéler que l’art lyrique n’est pas qu’artifice mais également vérité. Celle d’un instant, d’un moment partagé, le temps d’une représentation, ce mensonge vrai. Et que l’Opéra Comique, le bâtiment, est le lieu de sa propre représentation. Un spectacle en soi.

Pleine Nuit une création de Christian Botanski, Jean Kalman, Franck Krawczyk
Assistante lumières Elsa Ejchenrand
Soprano Soliste, Leïla Benhamza
quatuor vocal, Marion Sire (soprano), Richard Bousquet (ténor), Gaëlle Beau (Mezzo), Olivier Dejean (Basse)
Musiciens, Martial Drapeau, François Ansart, Yann Baillais, Arthur Barlerin, Clément Bizoirre, Thomas Dupayage, David Kesmaecker, Ulysse Manaud, David Molinos, David Baillais, Jérôme Bareille, Isabelle Baroyer, Elric Boyrie, Delphine Fiocco Lavigne, Claude legrand, Frédéric Marillier

le 13/14/27 et 28 février
déambulation par cycle de 30 minutes de 18h à 23h30
précisions sur les conditions d’accès et de parcours dans le chantier : 01 80 05 68 66

Opéra Comique
place Boeldieu
75002 Paris
info@opera-comique.com

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