ƒƒƒ article de Denis Sanglard
C’est une performance des plus troublante, singulière de par sa forme originale, d’une abrasive et inquiétante poésie. Pour le spectateur ébahi par la force de cette proposition d’où suinte lentement le malaise, c’est véritablement un choc. Alice Laloy retourne magistralement le conte de Pinocchio dont elle ne retient que la métamorphose. Mais dans une perspective inversée et terrifiante, terriblement, dramatiquement contemporaine par les questions qu’elles posent incidemment. Lorsque déboule sur le plateau et dans un joyeux brouhaha une bande de gosses insouciants, on ne se doute aucunement de la suite. A peine apparus les voilà qui disparaissent fissa en coulisse. Et commence alors une étrange cérémonie. Au son martial d’un tambour et aux ordres de deux maîtres de cérémonie imprimant le tempo de cette cérémonie à venir, d’étranges individus marmoréens, en blouse grise et montés sur d’étranges soques de bois, envahissent le plateau. Et chacun de monter son propre établi. L’atelier installé, une chaîne de productivité, reviennent les enfants, étrangement assagis, en barboteuse et bonnet blanc. Un inquiétant rituel s’installe. Chaque enfant est peint en blanc. Ainsi le corps progressivement devient totalement neutre. Une lente déshumanisation qui voit ces enfants être métamorphosés, devenir des pantins désarticulés, poupées molles et manipulées, sans plus de volonté. Image stupéfiante et cauchemardesque. Et sur leurs paupières closes, qui achèvent la transformation, d’immenses yeux bleus aux pupilles dilatées et fixes sont posés. Un regard absolument vide et qui ne vous lâchera plus. Revêtus d’un short à bretelle et d’un maillot à rayure et coiffés d’un bonnet jaune parachevant le tout, ils sont bientôt exposés, observés, manipulés, photographiés. Clones impassibles et passifs, soumis à la volonté de leur créateur. Puis vient le mouvement. Soubresauts chaotiques qui progressivement se fait danse. Et de cette danse collective, ronde enfantine saccadée, surgit de nouveau leur humanité. Retour au conte initial. Mais très vite surgit devant la force de cette proposition et sans que rien ne soit démonstratif, jamais, sans que la charge ne soit lourde, au contraire, une foule de question. Evidemment on pense au mythe contemporain de l’enfant-objet parfait et standardisé. Evidemment on songe à la marchandisation des corps enfantins. Evidemment vous prend à la gorge la question de l’inceste et de la pédophilie… Mais tout cela est transcendé par la proposition artistique et plastique d’une beauté indéniable d’Alice Laloy, marionnettiste sans marionnette mais dont cet art innerve cette création plus proche, dans cette adaptation remarquable de Pinocchio, de Mary Shelley que de Collodi. Et il faut saluer ici le travail des enfants-danseurs du centre chorégraphique de Strasbourg, d’une incroyable présence magnétique, au talent fou et troublant dans leur capacité à s’extraire d’eux-mêmes pour n’être plus rien, rien que des pantins, objets inanimés pas même de bois.
Pinocchio(live)#2 conception et mise en scène Alice Laloy
Composition sonore : Éric Recordier
Chorégraphie : Cécile Laloy
Assistée de Claire Hurpeau
Conseil et regard contorsion : Lise Pauton et Lucle Chalopin
Scénographie : Jane Joyet
Costumes : Oria Steenkiste, Cathy Launois et Maya-Lune Thieblemont
Accessoires : Benjamin Hautin, Maya-Lune Thieblemont et Antonin Bouvret
Régie générale et lumières : Julienne Rochereau
Régie son : Valérie Bajcsa
Avec les enfants danseurs du centre chorégraphique de Strasbourg : Pierre Battaglia, Stéfania Gkolapi, Martha Havlicek, Romane Lacroix, Maxime Levytskyy, Rose Maillot, Charlotte Obringer, Nilsu Ozgun, Anaïs Rey-Tregan, Edgar Ruiz Suri, Sarah Steffanus, Nayla Sayde
Les élèves comédiens du cycle à orientation professionnelle du conservatoire à rayonnement départemental de Colmar : Alice Amalbert, Jeanne Bouscarle, Quentin Brucker, Esther Gillet, Leon Leckler, Mathilde Louazel, Antonio Maïka, Jean-Baptiste Mazzucchelli, Louise Miran, Valentina Papic, Nina Roth, Raphaël Willems
Accompagnés par les percussionnistes Norah Durieux et Elliot Sauvion Laloy
Dans le cadre du Festival Paris l’été
Le 17, 18, 20 et 21 juillet à 18 h
Théâtre Montfort
106 rue Brancion
75015 Paris
Réservations O1 44 94 98 00
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