Critique de Camille Hazard –
Nous pénétrons, le temps d’un spectacle, dans les yeux de Joël Pommerat ; à l’époque où, comme il le dit, ses yeux ne percevaient pas encore la Vérité. En signant l’adaptation de ce célèbre conte de Carlo Collodi, Pommerat rebondit sur le récit initiatique de « Pinocchio » : tout en gardant l’esprit merveilleux et cruel des contes, il n’hésite pas à y greffer des éléments ultra réalistes, une certaine idée de la Vérité, en tout cas sa Vérité.
Dans sa mise en scène, beaucoup d’éléments rappellent l’idée du double, du bien et du mal, du vrai et du faux, comme deux mains tendues qui se laissent choisir. Les décors et les costumes marchent à l’unisson en noir et blanc. Pinocchio, à travers ses expériences, se trouve confronté au choix de la pauvreté et de la richesse, de l’ennui et des divertissements, des contraintes et du plaisir… À la fin de la pièce, il se retrouve face à face avec sa marionnette de bois, comme une conscience qui s’élève : sa renaissance.
© Elisabeth Carecchio
En ancrant cette histoire dans notre quotidien, J. Pommerat affiche sur scène une nouvelle génération d’enfants, celle de l’enfant-roi, du petit tyran qui ne se laisse plus éduquer. À peine construit, Pinocchio exige à manger, ordonne de se divertir, exige d’être riche « comme ça, on aura une belle maison avec une grande piscine et un chien ! ». Mais son père, Gepetto, est pauvre…
La société de consommation des images et des plaisirs à outrance ne sont pas en reste ! Pommerat montre avec finesse que les mauvais expériences de Pinocchio ne l’entraînent pas dans un monde fantastique, effroyable, non ! Ils l’entraînent tout simplement dans notre société consumériste ! Le personnage de Pinocchio n’est plus le représentant d’une morale tirée d’un conte, il est l’exemple banal d’un enfant d’aujourd’hui.
Mais si Pinocchio est montré avec tous ses défauts d’enfant, les deux personnages qui l’accompagnent restent pour lui et pour un temps inaccessibles : la bonne fée rehaussée sur des échasses rend difficile la prise de conscience, et Gepetto, vieil homme sage et solitaire, paraît bien éloigné de l’enfance.
Lorsque Pinocchio commence à se remettre en question et à vouloir devenir « quelqu’un de bien », monsieur loyal, le bonimenteur, pose cette question: « Est ce qu’on peut changer dans la vie ? ». Et l’on verra que la réponse est oui ! Non sans mal, non sans détour, non sans mauvaises expériences mais rien n’est figé, tout le monde peut se dépasser. Une bien belle morale en ces temps où M. Sarkozy propose un projet de loi visant à détecter tout signe de violence chez l’enfant, et cela dès la maternelle, en vue de les surveiller et de les placer dans des établissements spécialisés…
© Elisabeth Carecchio
La mise en scène de J. Pommerat conjugue tous les temps et tous les tons : humour, naïveté, violence, cruauté, poésie se mêlent dans le temps de l’histoire à travers des tableaux successifs et dans le temps réel où M. Loyal témoigne de l’action, présente les scènes et nous relie à cette histoire. La scénographie très inventive nous fait voyager dans des fêtes foraines, dans le ventre d’une baleine, dans un champ désertique… créant de superbes tableaux. Toute la technologie est mise au service du merveilleux : lumières colorées et saturées pour l’ambiance de boîte de nuit, musique électronique, mêlée à de la musique de fête foraine, bruitages assourdissants de tronçonneuse, d’eau, d’ambiances qui accentuent le côté ultra réaliste.
On peut toutefois regretter (mais cela est un parti pris) le rôle omniprésent de cette scénographie qui étouffe un peu les comédiens. J. Pommerat a souhaité que ceux-ci illustrent les différents tableaux de l’histoire, peut-être aurait-il pu laisser une plus large partition aux acteurs… Mais ceci ne gâche en aucun cas la qualité et la profondeur du spectacle.
Joël Pommerat nous montre qu’à force de chercher son histoire, sa vérité, nous pouvons espérer le bonheur.
Pinocchio
D’après : Carlo Collodi
Mise en scène : Joël Pommerat
Avec : Pierre-Yves Chapalain, Jean-pierre Costanziello, Daniel Dubois, Anne Rotger et Maya Vignando.
Collaboration artistique : Philippe Carbonneaux
Scénographie : Éric Soyer
Lumière : Éric Soyer et Renaud Fouquet
Mannequins : Fabienne Killy et Laurence Fourmond
Costumes : Marie-Hélène Bouvet, Élysabeth Cerquiera et Jean Michel Angays
Son : François Leymarie, Grégoire Leymarie et Yann Priest
Musique : Antonin LeymarieDu 24 novembre au 19 décembre 2010
Théâtre de l’Odéon – Ateliers Berthier
1 rue André Suarès, 75017 Paris – Réservations 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.fr