© Willy Vainqueur
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
« Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs » a écrit Shakespeare dans Comme il vous plaira.
« Le théâtre n’est plus le monde » semble lui répondre Diane Scott en 2021 dans son essai S’adresser à tous.
Quant à Güven, il s’interroge auprès de Marie-José Malis : Pourquoi entre notre monde et le théâtre il y a un fossé ? A ce pourquoi, ils sont nombreux, directeurs de théâtre, artistes, sociologues, à avoir tenté de donner des réponses mais force est de constater qu’elles n’ont jamais rempli ce fossé qui s’est probablement encore plus creusé ces dernières années.
Ce n’est donc pas peut dire que la dernière pièce d’actualité de La Commune (la 16ème comme Louis, pourrait dire Güven) est exceptionnelle et qu’elle fait exception y compris dans ce cycle de productions pensées en lien avec les habitants d’Aubervilliers et de Seine-Saint-Denis, tant la propulsion de ce jeune homme d’Aubervilliers sur la scène de La Commune a le pouvoir d’inverser les attendus, les rôles et les scènes. Car, en premier lieu, ce projet est né de son propre désir, c’est important de le souligner, et non du désir d’un metteur en scène comme c’est habituellement le cas, lequel recherche ensuite des acteurs locaux pour le mettre en œuvre. Ici, quatre metteurs en scène se sont mis au service de ce jeune homme de 28 ans, né, ayant étudié, travaillant et vivant à Aubervilliers. Et puis, généralement, c’est le théâtre qui se propose de venir en aide aux territoires en difficulté (officiant ainsi aux ordres de la main gauche de l’Etat). Ici, c’est Güven qui vient en aide à un théâtre public en difficulté dans sa vocation. Il y a dans Pièce d’actualité n°16 – Güven comme un coup de force, comme un renversement symbolique qui émeut autant que le retour du fils prodigue. Il y a dans la prise de pouvoir sur la scène de ce théâtre par un jeune des cités, comme un retour décalé à l’origine du théâtre de la cité (grecque). Jamais la critique du théâtre, comme institution culturelle de notre époque, et de son public usuel, n’aura été plus justement et légitimement menée que par cet assaillant du quartier du Pont-Blanc !
Güven Tugla est donc mis en scène successivement par Maxime Kurvers, Jérôme Bel, Marie-José Malis et Marion Siéfert. Comme autant d’éclairages. Regarder et mettre en scène un acteur, c’est aussi dévoiler une part du désir du metteur en scène. Et c’est, en filigrane et par un contraste encore plus vif par le montage des séquences ainsi s’enchaînant, un portrait en creux de ces quatre metteurs en scène. Maxime Kurvers, penseur et historien subtil, reprenant le procédé de sa magnifique Naissance de la tragédie mais en le détournant par le one man show et en faisant de Güven le témoin-vierge effarouché du théâtre décoiffant et quelque peu provocateur de Rodrigo Garcia ; Jérôme Bel, lyrique et concepteur, faisant se fracasser rap et Wagner sur une Mercedes, sublime crash test, forcément sublime ; Marie-José Malis, sous le charme du jeu, s’offrant sur un plateau et donnant les rênes à Güven pour de magistrales séquences de drôleries grecques (Héraclès et ses coucougnettes) puis moliéresques (Bourgeois Gentilhomme, mention spéciale à Momo Shark !) ; enfin Marion Siéfert, sculptant, ciselant, ce moment de vie dans l’épaisseur du réel, pour un récit plus retenu et grave, tissant ses fils jusque dans le monde de twitter et snap.
Dans cette entreprise, Güven impressionne par sa facilité à s’emparer et jongler des codes et des conventions : qu’ils soient théâtraux, comme cette façon de manier la perruque et le costume de gentilhomme avec la même aisance ludique et impertinente à jouer de la langue de Molière, comme une critique réactualisée des origines sociales qui partitionnent notre monde; qu’ils soient sociaux, comme cette Mercedes, ces baskets Nike, et même : ce public parisien à La Commune, comme autant de valeurs dont Güven gère le cours comme à la bourse. Güven a bien compris que ce monde est un monde de signes, qu’il reprend avec malice et en fin politique, décode en déconnant, et déterritorialise en les reterritorialisant dans le pur présent du spectacle.
Venons-en au principal : Güven est un acteur né, dont l’intelligence du plateau est remarquable. Il a cette puissance de répartie qui fait mouche, sans avoir à sortir de ses gonds. Il sait d’où il parle mais parle à tous. Il a cette assurance magnifique, lui qui n’était pourtant pas attendu là, et puis il a cette réserve et délicatesse souveraines dont il semble sortir à chaque instant pour nous accueillir. Reprenons les mots de Marie-José Malis : c’est un génie comique et mélancolique, puis reprenons au tout début de la soirée lorsque Güven entra dans la danse : il sait jouer des coudes et il en a sous le coude !
Pièce d’actualité n°16 – Güven, conception et mise en scène Jérôme Bel, Maxime Kurvers, Marie-José Malis et Marion Siéfert
Avec Momo Bouri, Güven Tugla
Création lumière : Jessy Ducatillon
Création son : Géraldine Dudouet
Habillage : Agathe Laemmel
Dans le détail :
Güven Antoine, conception et mise en scène Maxime Kurvers
Récit improvisé : Güven Tugla
Danse : Güven Tugla, Jérôme Bel
Scénographie : Maxime Kurvers, Jérôme Bel
Costume : Güven Tugla
Musique : Teni
Remerciements Rodrigo Garcia
Durée 20 minutes
Mercedes 1&2, concept Jérôme Bel
Montage : Maxime Kurvers
Scénographie : Maxime Kurvers, Jérôme Bel
Costume : Güven Tugla
Musique : Key Largo, Richard Wagner
Durée 9 minutes
Hercule, Güven et Le Bourgeois Momo, dramaturgie, mise en scène de Momo Bouri, Marie-José Malis, Güven Tugla
Interprétation : Momo Bouri, Marie-José Malis, Güven Tugla
Costumes : Valentine Solé
Musique, INTRIGUE Call of the heart
Durée 35 minutes
Mon daron, texte, conception et mise en scène Marion Siéfert
D’après le récit et les improvisations de Güven Tugla
Assistanat à la mise en scène : Mathilde Chadeau
Costumes : Valentine Solé
Durée 40 minutes
Du 17 au 28 novembre 2021
Mardi à 14 h 30, mercredi 17 à 20 h 30, mercredi 24 & jeudi à 19 h 30, vendredi à 20 h 30, samedi à 18 h, dimanche à 16 h
La Commune – CDN Aubervilliers
2 rue Edouard Poisson
93300 Aubervilliers
Tél : +33(0)1 48 33 16 16
www.lacommune-aubervilliers.fr
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