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Pièce d’actualité N°14 : Dévoiler, mise en scène de Richard Maxwell au Théâtre de la Commune – Aubervilliers

Sep 30, 2019 | Commentaires fermés sur Pièce d’actualité N°14 : Dévoiler, mise en scène de Richard Maxwell au Théâtre de la Commune – Aubervilliers

 

© Willy Vainqueur

 

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Il y a un an Marie-José Malis, directrice de la Commune, créait en langue française The end of reality de Richard Maxwell. C’est désormais au tour du dramaturge et metteur en scène américain de contribuer au projet de la Commune à travers ce qui en est le plus emblématique : la production d’une de ses pièces d’actualité rythmant chaque saison, interrogeant le territoire d’Aubervilliers et ses habitants.

Dans cette conversation entre New-York et Aubervilliers, Pièce d’actualité pourrait se traduire, en abusant de faux amis, par a piece of reality (actual signifiant réel) : plus que d’une contemporanéité, il s’agirait donc de prélever un morceau de réalité dans un territoire pour le donner à voir sur la scène d’un théâtre. Donner à voir celui qui est rendu invisible dans notre société (celui qui peut être sans papier par exemple). Et peut-être plus encore : donner à voir et à entendre un autre récit que celui construit par notre société, dominant ce morceau de réalité comme sa vérité indiscutable. Acte politique donc : le simple fait d’éclairer différemment ce morceau de réel – ici les migrations – en le dégageant de ses fictions médiatico-idéologiques.

Pour construire son projet, Richard Maxwell est allé à la rencontre de nouveaux venus à Aubervilliers, tous participant à l’École des Actes, ce lieu d’échange entre jeunesses d’ici et d’ailleurs (récemment immigrées), artistes et intellectuels, inventé par la Commune. L’École des Actes, c’est aussi un Laboratoire pour des Acteurs Nouveaux mêlant amateurs et professionnels. Des acteurs nouveaux, des acteurs en devenir, depuis la friche d’un territoire.

Devant le rideau de velours rouge, à l’avant-scène, ils viendront prendre place successivement et formeront une ligne, qui est aussi celle d’un récit choral : celui de Boulaye, parti de Gao pour venir ici, qui doit suivre justement cette ligne droite, sans retour ni détour possible, une trajectoire de l’Afrique à l’Europe, qui se veut rectiligne par la force d’un destin que l’on se donne, malgré les empêchements et les obstacles.

Un récit à la troisième personne. C’est important. On entre dans ce morceau de réel par la porte de la fable. On suit les pérégrinations de son personnage, on assiste à ses dialogues reconstitués, dans avec une légère et précieuse distanciation (brechtienne ?) : loin de toute retranscription documentaire, ce réel assume ici sa reformulation, sa recréation, sa représentation comme dans un conte.

Ceux-là mêmes qui ont pu être captifs, passifs d’une histoire faite de passeurs et d’administrations autoritaires, ceux-là deviennent enfin acteurs dans cette histoire par l’acte même de la dérouler. Ce que Richard Maxwell leur offre : ne plus être envisagé comme pièce à conviction à son corps défendant d’une tragédie dont l’Europe aura un jour à rendre des comptes, ne plus être soumis au regard humide d’un public dont la compassion peut avoir quelque chose de profondément condescendant, mais faire œuvre avec la force performative de la parole et nous déprendre du voile de pitié qui oblitère la compréhension : mettre en pièces bonnes et mauvaises intentions, et laisser apparaître un autre récit du monde plus politique.

Dévoiler. Le rideau rouge s’ouvrira laissant place à un magnifique mais suranné fond de scène, peinture idyllique d’un paysage montagnard. La fable se poursuivra scandée par de nouveaux tableaux descendant des cintres, comme un livre d’images, légèrement décalées (toutes ses peintures venant de productions lointaines, conservées par le théâtre). Autant de voiles hissées au ciel du théâtre, pour raconter ce voyage et cette traversée. Vieilleries d’un théâtre posant et racontant la permanence d’une histoire, celle du départ et du voyage, depuis que l’homme existe, depuis que le monde s’est scindé entre riches et pauvres.

Dévoiler, c’est donc aussi mettre les voiles, et lever les toiles, c’est faire appel à un Deus ex machina, bien artisanal et puissamment poétique, pour convoquer subtilement une autre intelligence du monde. C’est donner à vivre des échelles de temps et d’espaces parallèles. C’est donner à traverser et remonter les rangées de fauteuils rouges comme on traverse la Méditerranée, c’est devoir, spectateur, se retourner et s’agenouiller sur son fauteuil et être traversé soi-même par une émotion que l’on n’attendait pas, le cœur troublé par cet acte pourtant si simple, par ce qu’il recèle ici de polysémie, conquis par la naïveté d’un geste qui peut dire mieux que ce que ne saurait dire les plus savants. Dévoiler, c’est passer d’un il patiemment et collectivement construit à un je fracturant la matière de la fable comme un tremblement de réel.

C’est enfin éprouver comme spectateur le dévoilement de ce réel avec les mots du philosophe Jacques Rancière : « Le réel est toujours l’objet d’une fiction, c’est-à-dire d’une construction de l’espace où se nouent le visible, le dicible et le faisable ».

 

© Willy Vainqueur

 

Pièce d’actualité N°14 : Dévoiler

Mis en scène par Richard Maxwell

De Boulaye Dembele, Abdramane Doucoure, Moussa Doukoure, Nicholas Elliott, Maxime Fofana, Kawou Marega, Richard Maxwell, Abdel Kader Moussa Boudjema, Dirk Stevens, Abou Sylla, Abubakary Tunkaba, Sascha Van Riel

 

Direction générale Nicholas Elliot

Direction technique Dirk Stevens

Scénographie Sascha Van Riel

 

Du 26 septembre au 6 octobre 2019

Durée 1 h 05

 

 

La Commune

Centre Dramatique National d’Aubervilliers

2 rue Édouard Poisson

93 300 Aubervilliers

 

Réservation +33 (0)1 48 33 16 16

http://lacommune-aubervilliers.fr

 

 

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