À l'affiche, Critiques // Pelléas et Mélisande, de Maurice Maeterlinck, mise en scène de Julie Duclos, Théâtre de l’Odéon

Pelléas et Mélisande, de Maurice Maeterlinck, mise en scène de Julie Duclos, Théâtre de l’Odéon

Fév 26, 2020 | Commentaires fermés sur Pelléas et Mélisande, de Maurice Maeterlinck, mise en scène de Julie Duclos, Théâtre de l’Odéon

 

© Simon Gosselin

 

 

ƒ article de Denis Sanglard

Le mystère Mélisande. On ne sait d’où elle vient. On ne sait qui elle est. On ignore pourquoi elle épouse Golaud. À peine découvre-t-on la passion interdite qui l’unit à Pelléas qu’il est trop tard. Golaud tue Pelléas, Mélisande meurt. Œuvre symboliste, paysage tremblé d’une passion secrète, interdite, au bord de s’évanouir, aux frontières de l’étrange. Maeterlinck oscille entre le visible et l’invisible, le sensible et l’impalpable. Le dit et le non-dit. Et le silence… C’est dans cette tension permanente, laquelle provoque la folie de Golaud et la perte des amants, dans l’irruption de l’inexplicable et du mystère non résolu, qu’est le cœur battant de cette pièce, le nœud du drame. C’est dans les points de suspensions qui parsèment l’ouvrage et ouvrent chaque réplique, empêchant toute conclusion, exacerbant l’énigme, que s’engouffre la tragédie. C’est parce que Golaud refuse l’insondable et veut savoir, percer le mystère qui relie ces deux « enfants », qu’ils mourront. Sans rien délivrer de ce mystère.

Écriture dépouillée, à l’os, prosaïque, voire naïve. C’est un conte noir, un poème intimiste et épique tout à la fois, une chanson de geste revisitée. Rien ne manque à l’imaginaire médiéval, un royaume menacé, une forêt, un château, une tour, une grotte, une fontaine miraculeuse et la mer au loin… Paysages évoqués et mouvants, ouverts et fermés tout à la fois, que traversent nos personnages, traversés eux-même par cet environnement sauvage et toujours sombre, crépusculaire et propice à l’inquiétude, à la mélancolie qui ronge Mélisande, à la jalousie et bientôt la folie qui taraude Golaud.

Julie Duclos fait table rase du folklore. Elle dépouille l’œuvre de toute référence temporelle, se gardant également et avec justesse de toute abstraction. Très belle scénographie, un château réduit à deux étages, deux pièces mobiles et dépouillées, la nudité du plateau parfois en avant-scène, des images vidéos pour la forêt, la mer et la grotte, en direct pour des plans serrés traquant l’imperceptible mouvement des âmes tourmentées… Le tout baigne dans un clair-obscur, parfois même l’obscurité absorbant les êtres en proie soudain à la panique. Julie Duclos impose aussi le silence, le vide, n’offrant alors aucune explication, juste la nudité des sentiments écorchés, frottés au sel d’une passion condamnée. Les acteurs expriment, quand ils les expriment, leurs sentiments à bas-bruit, à peine osent-ils affirmer les tumultes qui les déchirent… Tous sentiments irrépressibles semblent contenus, tout élan bridé, brisé. Julie Duclos épure avec cette volonté claire et affirmée de représenter non l’avers mais l’envers de cette pièce, de mettre en lumière la source souterraine qui irrigue cette œuvre, les liens ténus, les rhizomes secrets qui relient chacun des personnages, inconnus parfois d’eux-mêmes. Seulement voilà, à tant réfréner tout envol, à contrôler avec minutie tout état d’âme et leur échappée, tout affect jusque dans la diction (effet amplifié malheureusement par l’usage du micro, déréalisant les voix), une diction sans relief, ou si peu, à ne rien vouloir laisser paraître pour faire entendre le silence et ce qu’il porte de révélation et de mystère, peu à peu l’ennui menace, sourd et finit inexorablement par ronger l’ensemble. C’est une belle création, c’est vrai, mais si maîtrisée qu’elle en devient glaciale et manque au final de ce que Maeterlinck appelait de ces vœux, cette part d’humanité et de magie au sein de notre « tragique quotidien » et que révèle ou recèle le mystère de toute vie.

 

© Simon Gosselin

 

 

Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck

Mise en scène de Julie Duclos

Assistanat à la mise en scène Calypso Baquey

Scénographie Hélène Jourdan

Lumières Mathilde Chamoux

Vidéo Quentin Vigier

Son Quentin Dumay

Costumes Caroline tavernier

Régie générale Sébastien Mathé

Avec Alix Riemer, Matthieu Semper, Vincent Dissez, Philipe Duclos, Stéphanie Marc, Emilien Tessier et en alternance Clément Beaudouin, Sacha Huyghe, Elliot Le Mouël

 

Du 25 février au 21 mars 2020

Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 15 h

 

 

Odéon-Théâtre de l’Europe

Ateliers Berthier

1 rue André Suarès

75017 Paris

www.theatre-odeon.eu

 

 

 

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