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Peer Gynt, de Henrik Ibsen, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois, et Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, de Stig Dagerman, conception de Simon Delétang, Théâtre du Peuple, Bussang

Août 04, 2021 | Commentaires fermés sur Peer Gynt, de Henrik Ibsen, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois, et Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, de Stig Dagerman, conception de Simon Delétang, Théâtre du Peuple, Bussang

 

 

Peer Gynt © Christophe Raynaud de Lage

 

 

ƒƒƒ Article de Corinne François-Denève

En ce mois de juillet peu radieux, la forêt vosgienne a pris des allures boréales. Pour sa saison d’été, le Théâtre du Peuple, après une année d’interruption forcée, a repris son ordre de marche : sur les mois de juillet et d’août, commençant un peu plus tôt dans l’été, et mordant aussi sur septembre, sont à nouveau programmées deux séries de spectacles. Le « grand spectacle » tant attendu en après-midi, à 15 h, et une forme plus petite, les week-ends, à midi, également dans la grande salle. En août, la grande forme sera la création de Leurs enfants après eux, d’après le roman de Nicolas Mathieu, auteur vosgien qui avait fait sensation en 2018. La petite forme, sur l’été, est celle de l’ « oratorio électro-rock » orchestré par Simon Delétang, accompagné par le duo Fergessen, sur le texte culte du Suédois Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. En juillet, le spectacle de 15 h était la mise en scène de Peer Gynt du Norvégien Henrik Ibsen.

Depuis 1895, le Théâtre du Peuple fonctionne selon le principe du Théâtre Populaire édicté par Maurice Pottecher, son fondateur. Des spectacles ambitieux mais lisibles, donnés dans le cadre d’un grand théâtre en bois, et une distribution qui mêle professionnels et amateurs, qui se retrouvent ensuite sur les pelouses du théâtre (quand il ne pleut pas), pour échanger avec les spectateurs et spectatrices autour de bières locales ou de tartes aux myrtilles (ou de glaces quand il fait un peu plus chaud). Les afficionados, nombreux, se  reconnaissent à leur coussin vintage et millésimé, les néophytes font la queue à la guérite pour acquérir le trésor de l’année (le bois des bancs peut s’avérer cruel).

Invitée à donner le « grand spectacle » cette année, celui pour lequel on ouvre le mur du fond, ouvrant sur la forêt vosgienne, Anne-Laure Liégeois avait d’abord porté son choix sur Romain Rolland, autre précurseur un peu oublié du théâtre populaire, avant de revenir à Henrik Ibsen, et à son Peer Gynt. Épopée populaire, qui va chercher dans le folklore norvégien, mais aussi pièce philosophique de formation, sur la quête de l’identité, Peer Gynt possède bien l’ampleur et la générosité qui sied au cadre de Bussang. Anne-Laure Liégeois a fait le choix très habile de tailler dans la pièce à grands traits précis : partant des excellentes traductions de Maurice Prozor et de Pierre Georget La Chesnais, elle a divisé la pièce en trois parties très pédagogiques – la jeunesse du héros maudit, sa vie à partir de la cinquantaine, et enfin sa confrontation à sa dernière heure et au bilan de sa vie. Peer Gynt est un héros théâtral au possible : auteur, raconteur, menteur, il invente sa vie en la « performant », et réussit si bien ses échecs que ses histoires inventées deviennent des vérités répétées par d’autres. La première partie est délicieusement poétique, portée par la jeunesse d’Ulysse Dutilloy. Puis le relais passe, au milieu d’une digue, entre le Peer Gynt de 20 ans et le Peer Gynt de 50 ans – symboliquement, c’est le père du jeune acteur, Olivier Dutilloy, qui reprend le rôle. Marchand d’esclaves, visiteur d’asile (merveilleuse scène onirique), ce Peer Gynt-là est un farfadet plein de verve, athlétique et hâbleur, dont le burlesque éclate à tout champ – ce qui est rare dans les mises en scène, souvent engluées dans le symbolique pataud, et fort bienvenu. La troisième partie renoue avec la mélancolie – la quête du « soi » de ce Peer Gynt, ou « personne », étant peut-être vaine – jusqu’à ce que s’ouvre, justement, le mur du fond, vers un trou de verdure où chante une rivière, figuration bucolique de l’ailleurs.

Tout est splendide dans la pièce, des costumes (longs manteaux, smoking et chaussures dorées) aux effets (l’arrivée d’un sphinx, l’escamotage d’un décor oriental qui semble sorti du Magasin Pittoresque). La scénographie est aussi simple qu’elle est efficace, des praticables en bois figurant des bateaux ou des digues, et des toiles peintes ou des bâches permettant de penser des couchers de soleil et des naufrages. Les acteurs jouent une partition harmonieuse, les Dutilloy père et fils habitant à merveille, chacun à leur façon, le corps de leur empereur sans qualités, Laure Wolf promenant sa douleur digne en Aase, Saane Assif et Juliette Fribourg, qu’on a du mal à qualifier d’amatrices (ou alors, au sens le plus noble du terme), magnifiant les rôles d’Anitra, de la femme en vert ou de Frida. Il y a aussi un cochon en sous-pull rose et un cheval. Grieg accompagne discrètement la pièce, la « Chanson de Solveig » se déclinant en version musicale, opératique, ou chantée par Jane Birkin dans la version peu connue de Gainsbourg, « Lost Song ».

La musique, c’est ce que Simon Delétang a choisi pour accompagner le texte bien connu de Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Petit texte testamentaire, rédigé juste avant le suicide de son auteur, ce Besoin est un best-seller continu depuis sa découverte en 1981, que l’on s’offre régulièrement entre passionnés, à des moments de vie bien précis. Nulle surprise donc à voir Simon Delétang, le directeur du Théâtre du Peuple depuis 2018, revenir à ce texte, après les années difficiles qui ont marqué le monde du spectacle. La réflexion douloureuse de Dagerman, qui réfléchit à sa dépression, « poupée russe » dont la dernière poupée cache un couteau, ou une lame de rasoir, est ici aérée par la très belle création sonore du groupe Fergessen. Les éclats sombres de la prose de Dagerman, déclamés, ou slamés par Delétang, en costume sombre devant micro, sont éclairés par la musique du duo, dont l’énergie semble célébrer, par dessus tout, la force de la création et de la vie, « en attendant le bonheur » – ici donc retrouvé.

 

 

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier © Jean-Louis Fernandez

 

 

Peer Gynt, de Henrik Ibsen, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois

Adaptation libre d’après les traductions de M. Prozor et P.G. La Chesnais

Lumière : Guillaume Tesson

Costumes : Séverine Thiébault

Scénographie : Anne-Laure Liégeois et Aurélie Thomas

Assistante mise en scène : Sanae Assif

Avec : Sanae Assif*, Arthur Berthault*, Rébecca Bolidum*, Thierry Ducarme*, Martial Durin*, Olivier Dutilloy, Ulysse Dutilloy-Liégeois*, Clémentine Duvernay*, Juliette Fribourg*, Marc Jeancourt, Sébastien Kheroufi*, Michel Lemaître*, Matteo Renouf*, Chloé Thériot*, Laure Wolf, Edwina Zajdermann*

*membres de la troupe des comédiennes et comédiens amateurs du Théâtre du Peuple

 

Spectacle vu le 31 juillet 2021

Dernière le 1er août 2021

Durée 3 heures avec entracte

 

 

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, de Stig Dagerman, conception de Simon Delétang

Traduction Philippe Bouquet

Conception et interprétation Simon Delétang

Création musicale et interprétation Fergessen (Michaëla Chariau et David Mignonneau)

 

Spectacle vu le 1er août 2021

Durée 40 minutes

 

Du 24 juillet au 4 septembre

Les week-ends à 12 h, relâches les 7 et 8 août 2021

 

A partir de 10 ans

 

 

Théâtre du peuple – Maurice Pottecher

40 rue du théâtre

88540 Bussang

+33 (0)3 29 61 62 47

 

https://www.theatredupeuple.com

 

 

 

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