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Paradise, création de Akaji Marô, Compagnie Dairakudakan, Maison de La Culture du Japon à Paris

Déc 03, 2017 | Commentaires fermés sur Paradise, création de Akaji Marô, Compagnie Dairakudakan, Maison de La Culture du Japon à Paris

© Hiroyuki Kawashima

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Dans un décor blanc immaculé, antichambre de l’enfer à venir, un pommier vert tremblant, secoué de spasmes. Ce pommier ravagé, qui plie, tremble mais jamais ne rompt, au maquillage décrépi et outrancier, la perruque haute, blanche et crêpée outrageusement, c’est l’immense Akaji Marô. Au centre d’une chorégraphie tout à la fois grave et légère, ludique et dramatique. Paradise, la dernière création du maître du butô, est une merveille absolue, un instant suspendu éblouissant, ébouriffant, sombre et tragique. Aussi naïve, aussi violente, aussi poétique, aussi colorée qu’un tableau du Douanier Rousseau dont il souligne la référence, avant de l’effacer, avec le même génie de la composition et de l’image. La folie en plus. Un pommier donc. Et plus encore, sans doute, métaphore de la nature menacée en son ensemble. Le butô est affaire de métamorphose. Dans sa dernière création, la planète des insectes, il était une fourmi, reine en sa demeure… Sa présence magnétique, ce visage blafard fardé à la truelle, irradie le plateau, consume les spectateurs brûlés par son incarnation brute, voire grotesque, expressionniste toujours. Et si juste. Peu de mouvements chez ce jeune homme de plus de soixante-dix ans, mais le moindre geste, minimaliste, si concentré, prend une ampleur insoupçonnée, démesurée, l’espace soudain s’ouvre et s’effondre sur lui-même, offrant un monde inconnu que l’on ne soupçonnait pas même, effrayant et tout à la fois hilarant, prêt à basculer, pendulant entre des pôles contradictoires. Chaque geste est la somme et le condensé d’une vie, tordus jusqu’au grotesque, imparable de justesse. De mystère aussi. Et ce kitch affirmé d’un vieil onagata excentrique possédé et sublime, cette dérision volontaire et ironique comme un dérisoire et ultime rempart, bouleverse aussi. Akaji Marô sait combien tout en ce monde est réversible et fragile. Derrière la folie de son personnage, sous les oripeaux en lambeaux et la perruque en bataille, le regard est acéré, mélancolique, implacable qui dénonce. Ce Paradis soumis à la tentation ne résiste pas longtemps à l’Enfer qu’il contient, à la violence. Le vers est dans le fruit, pourri de l’intérieur. Adam et Eve, cédant à la tentation en accédant à la connaissance, bannis de l’Eden, n’ont cessé depuis de faire leur malheur. Heureux les simples d’esprit… Ce qu’affirme avec force et tant d’ironie malicieuse Akaji Maro c’est que le paradis au final « c’est du bidon, il n’existe pas ». L’enfer ce ne sont pas les autres mais bien nous-même. Et ce qui commençait en ouverture par un formidable cri primal, animal, se termine par un fou rire diabolique qui fait froid dans le dos. Alors sur le plateau les danseurs se déchaînent. Au sens propre comme au figuré. Détachés de l’arbre de la connaissance, la pomme croquée (la banane et le raisin de même) l’Eden s’ouvre sur la jouissance, le plaisir et les désillusions, la mort. La vie ici est une danse euphorique au rythme techno soutenu, un parquet de dance-floor sur lequel on fait du patin à roulettes (il fallait oser, chausser de rollers les danseurs). Mais la mort s’invite dans la party et frappe. Là où le Douannier Rousseau mettait de la couleur, Akaji Maro met du blanc exagérément. Dans ce décor si blanc, lumière blanche et crue, les danseurs à la peau blafarde ne sont plus que des bas-reliefs émancipés, détachés d’une vaste fresque. Des silhouettes capables de s’effacer soudain, n’être qu’ombres. Mais leur danse, hantée, tendue énergiquement entre des pôles contradictoires qui les meuvent, qu’elle soit archaïque, primaire, follement enfantine, joyeusement libertine, ivre de liberté nouvelle, ou d’une grande sophistication et subtilité exprime toute la terrifiante et dramatique condition humaine. Ces corps-là, possédés, portent en eux, essence même du butô, le spectre large et dégradé d’une humanité vacillante qui plonge ses rhizomes loin, très loin, aux origines de l’humanité. Incarnation de strates mémorielles soudain révélées qui vous stupéfie, frappe durement au plexus, tant elle contient de vérité franche et troublante. Chaque corps est la somme de fantômes et de kami réincarnés, qui sans doute les précédèrent. Réveiller, faire danser les morts et danser sa propre perte, avec une inconscience béate, c’est une féroce et lucide danse macabre qu’orchestre Akaji Maro avec tant de légèreté illusoire et de poésie flamboyante.

Paradise

Chorégraphie, direction artistique, interprétation Akaji Marô
Musiques Kasuke Doi et Jeff Mills
Pièce pour 21 danseurs

Du 30 novembre au 9 décembre,  du jeudi au samedi
A 20h30 le jeudi et vendredi, 15h30 le samedi

Maison de la Culture du Japon à Paris
101bis, quai Branly
75015 Paris

Réservations 01 44 37 95 95

http://mcjp/fr/agenda/dairukudakan

Le 6 décembre à 19h Planets, film réalisé par Jeff Mills, projection en sa présence
A l’issue du spectacle Paradise, rencontre avec Akaji Marô
Le 15 et 16 décembre à la maison de la musique de Nanterre Crazy Camel, cabaret burlesque, création de Akaji Marô

www.maisondelamusiquedenanterre.eu/saison-2017-2018/compahnie-dairakudakan-crazy-camel

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