Impressions de Dominika Waszkiewicz

La pluie efface les dernières traces de ce qui semble n’avoir été qu’un songe… Quelques échantillons d’un surprenant bestiaire flottent encore au-dessus des rues nostalgiques de l’euphorie de ce premier week-end de juin. Pour la 25^e édition du célèbre festival nanterrien, la scénographie a été confiée à la Compagnie Laforaine. Éric Brossier et Linda Hede ont choisi de donner à la ville des allures carnavalesques sous le signe de la chamarrure circassienne. Poissons à roulettes et autres « têtes de parades » se balancent dans le vent comme autant d’attrape-rêves (ou -cauchemars ?) sortis tout droit de l’imagination polychrome des enfants nanterriens.

Aux couleurs d’une grande fête collective

Et quoi de mieux pour ouvrir la danse que les exotiques élans d’une fanfare franco-algérienne ? Gilets de velours brodé et fez bordeaux, la Fanfare Casbah nous invite d’emblée à un voyage diapré. Airs populaires maghrébins et danseuse serpentine nous contaminent de soleil. Les sourires s’élargissent autour du groupe et, quand Hadj Khalfa fait chanter sa zorna, peu de pieds résistent à l’envoûtement.

Dans un autre genre, plus poilu en somme, s’élancent les Five Foot Fingers (fff pour les intimes), défenseurs de la French Camembert Touch. « Ça claque un max, ça pue un peu, mais c’est bon. » Entre jonglerie burlesque, déhanchements intempestifs et tours de force acrobatiques, les cinq moustachus jouent la fausse nonchalance pour un spectacle bourré d’humour et de testostérone. Quand le gène pilaire devient synonyme de talent…

… Que se passe-t-il ? D’où vient que le crépuscule semble vibrer de plaisir et de lumière ? Fantastique enchevêtrement d’arabesques métalliques, de feux et de sons, un cortège infernal apparaît soudain et se déploie dans la ville. Sept percussionnistes, juchés sur leur char improbable et accompagnés d’artistes nanterriens, jalonnent les rues pour en extraire une proposition sonore originale et contagieuse. Tout l’air se pare de cette création unique et sur-mesure signée la Cie de la Dernière Minute.

Et que dire quand les grands yeux expressifs des marionnettes géantes de la compagnie marocaine Éclats de lune/Graines de soleil viennent nous cueillir au réveil ? Doucement chaloupés au rythme d’un minuscule sifflet vert, les trois curieux personnages se balancent dans un nuage d’oiseaux multicolores agités par des enfants surexcités.

Et les rues s’éveillent… un essaim de camaïeu azuré infiltre le pavé. Délicat impromptu chorégraphique, IC#6 est la dernière création de la compagnie Frichti Concept.En une vague presque imperceptible, les danseurs glissent parmi nous, nous regardent et nous interrogent sur notre espace public.

Et puis, dans un coin du parking du centre de santé, les rideaux rouges d’un petit théâtre de marionnettes attirent l’œil. Devant, enfariné et la braguette ouverte, s’agite un homme à la longue figure triste. Les notes de la Marche turque s’échappent comme par erreur d’un lecteur CD posé sur les genoux d’un acolyte bien impassible pendant que se compose, cahin-caha, une variation hamlétique haute en couleurs et signée Elvis Alatac.

Au détour d’une rue, le clown espagnol Gromic nous convie à un délicieux moment de magie poétique. Troublant de vérité et de simplicité, l’artiste dévoile sans un mot les complexes nuances des sentiments humains. En une judicieuse interaction avec son public, il parvient à créer la délicate nébulosité d’une bulle dont on a du mal à s’extraire…

© Escale-Lara Manipoud

Le théâtre de tréteaux est aussi à la fête à Nanterre avec la dernière création de la Compagnie Escale. Tiré d’une nouvelle d’Isabel Allende, D’un souffle tu chavires déploie tous les outils du théâtre gestuel et total pour nous narrer un conte intime et poétique célébrant le pouvoir des mots. Entre danse, musique et parole, Grit Krausser, Hugues Hollenstein et Guillaume Druel donnent vie à des personnages atypiques dans une esthétique onirique qui se moque des frontières. Animées par le pouvoir d’un indéfectible souffle vital, les formes floues et bigarrées s’humanisent pour le plaisir des grands et des petits.

Un peu à l’écart de l’agitation populaire, au fond d’un jardin agréablement ombragé, se dressent d’impitoyables outils de mort. Un paravent, une table, une chaise et une tribune viennent accueillir le spectacle engagé proposé par Les Grandes Personnes. Il s’agit de (re)faire le procès de Roger Bontems, dernier guillotiné parisien pour sa complicité dans la prise d’otages de la Centrale de Clairvaux. Sous la houlette d’un petit drapeau tricolore planté dans une cascade de lierre, défilent poupées de chiffon et jouets en bois. Dérision de la machine judiciaire et absurdité d’un système pourtant implacable.

Enfin, perpétuels appels à l’évasion ludique, n’oublions pas de mentionner quelques-unes des rocambolesques machineries de foire. Entre le charme désuet du P’tit manège fait main… de la compagnie belge des Quatre Saisons, la voiture aquatique du flamand Tristan Kruithof ou encore l’indélicate Table des Pensées d’Ola Szostak et Willemijn Schellekens, c’est tout un arc-en-ciel d’installations diverses et variées qui ont été conviées à cette 25^e édition du festival des arts de la rue de Nanterre.

Les avantages et les inconvénients de la tour de Babel

En somme, Parade(s) aura accueilli plus de cinquante compagnies venues du monde entier. Avec leurs langues, leurs talents (auxquels il est bien difficile de rendre justice ici), elles ont contribué à générer une véritable tour de Babel, pétrie de confusion et d’incohérence mais qui aura eu le mérite de suspendre le temps, le temps d’un week-end.

Festival des arts de la rue
Parade(s)
6, 7 et 8 juin 2014 à Nanterre
(En 2015, les 5, 6 et 7 juin)
 
Plus d’infos
Tél. 39 92
www.nanterre.fr

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