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Par-delà les marronniers, revu(e), de Jean-Michel Ribes, au Théâtre du Rond-Point

Mar 29, 2016 | Commentaires fermés sur Par-delà les marronniers, revu(e), de Jean-Michel Ribes, au Théâtre du Rond-Point

ƒ article de Denis Sanglard

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© Giovanni Cittadini Cesi

Par-delà les marroniers, Revu(e) mise en scène de Jean-Michel Ribes est l’occasion de découvrir avec bonheur trois auteurs précurseurs du surréalisme, dadas avant dada. Jacques Vaché, Arthur Cravan et Jacques Rigaut. Tous trois disparus prématurément, tragiquement. Esprits iconoclastes qui conspuaient le siècle naissant, le bourgeois repus, le bon sens et les beaux-arts. Un rire de résistance devant un ordre moral et la pensée – déjà – unique. Jacques Vaché le dandy, portant monocle à l’oeil gauche, mort d’une surdose d’opium en 1919. Arthur Cravan le poète et boxeur, déserteur de la Grande Guerre, disparu en mer au large du golfe du Mexique en 1918. Jacques Rigaud, le raté-étalon, fasciné par le luxe et les boites d’allumettes, suicidé en 1929 d’une balle en plein coeur, le suicide « l’un des beaux-arts, forme de mépris suprême à l’égard de la vie ». Il s’agit bien de ça, les caractérisant, cette élégance formidable dans le mépris d’une vie, l’insolence d’être, l’originalité de la pensée, l’horreur du prêt-à-penser. Trois solitudes aussi. Et un rire de résistance comme le souligne Jean-Michel Ribes. C’est d’ailleurs en hommage aux dessinateurs de Charlie Hebdo que fut pensée cette création. Ces trois dandys, broyés finalement par une société confite en préjugés, où prévaut l’ordre moral, sont les aînés formidablement scandaleux et lointains, et pourtant si proches, des victimes de Charlie Hebdo. Scandaleux certes mais nécessaires pour secouer les consciences assoupies et dénoncer les périls d’une pensée unique.

Jean-Michel Ribes n’a visiblement pas le coeur à rigoler. Sa revue est triste, mélancolique, désenchantée. On commence par une évocation de la guerre, celle de 14, et on conclue par la mort. L’amour, l’art et l’envie sont également évoqués mais là aussi le coeur n’y est pas. Nos trois dadas manient un humour à froid, absurde, politesse d’un désespoir noir, aussi noir que leur humour au fond, que le dandysme et l’élégance parviennent à peine à dissimuler. Une élégance qui vire tristement et lucidement à la pose. Cette revue sans être sinistre mais presque est une agonie programmée. Les girls en perdent presque leurs plumes. C’est crépusculaire et loin du yop-la-boum auquel le titre, finalement ironique, donnait à croire. Nous sommes quelque peu décontenancés devant l’absence de numéro. On se dit alors pourquoi pas. Leur vie finalement semblait une représentation permanente, un numéro quotidien qui finirait par tourner en rond. C’est ce que l’on ressent devant ces aphorismes, ces coquecigrues pré-surréalistes qui pleuvent et dénoncent un état du monde et un état d’esprit déliquescent. Le rire vire au jaune. Parfaitement inadaptés aux mondes qu’ils quittent avec la même désinvolture, voire la même nonchalance, ces trois frères en poésie incongrue et qui firent de leur vie en somme une revue, couchée sur le papier, un état des lieux du monde vue au prisme d’une lucidité exacerbée et douloureuse que seul l’absurde, bientôt surréalisme, pouvait révéler. Jean-Michel Ribes décidemment ne rigole plus, blessé sans doute encore depuis les attentats contre Charlie. Fatigué peut-être des attaques répétées des intégristes de tout poils. Et cette drôle de revue qui n’en est pas tout à fait une, en porte la marque. La légèreté, les fracs blancs de nos trois poètes, les girls à paillettes, tout ça semble un pied de nez aux évènements mais qui tombe à plat, s’essouffle. Au-delà des marronniers, le ciel est bas et lourd de menace… Reste la découverte de trois formidables personnalités, incroyables personnages, qu’André Breton dans l’anthologie de l’humour noir fit ressurgir de l’ombre et à qui il rendit hommage.

Par delà les marronniers, revu(e)
Texte et mise en scène Jean-Michel Ribes
Musique originale Reinhard Wagner
Scénographie Sophie Perez
Costumes Juliette Chanaud
Accessoires costumes Mélina Vaysset
Lumières Laurent Béal
Chorégraphie Fabrice Ramalingom
Maquillage Pascale Fau
Sculptures et peintures Dan Mestanza
Avec Michel d’Aboville, Michel Fau, Hervé Lassïnce, Sophie Lenoir, Alexie Ribes, Stéphane Roger, Aurore Hugolin
Du 15 mars au 24 avril 2016, 20h30
dimanche, 15h.
Relâche les lundis 20 et 27 mars

Théâtre du Rond-Point
Salle Renaud-Barrault
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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