À l'affiche, Critiques // Opéraporno, texte et mise en scène de Pierre Guillois, composition musicale de Nicolas Ducloux, au Théâtre du Rond-Point

Opéraporno, texte et mise en scène de Pierre Guillois, composition musicale de Nicolas Ducloux, au Théâtre du Rond-Point

Mar 22, 2018 | Commentaires fermés sur Opéraporno, texte et mise en scène de Pierre Guillois, composition musicale de Nicolas Ducloux, au Théâtre du Rond-Point

© Fabienne Rappeneau

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Enculé de spectacle ! On le sait, l’opéra au fond est affaire de cul… Opéraporno enfonce le clou et pas  seulement des clous. Pierre Guillois signe une opérette, une bouffe, un théâtre musical sans aucun tabou où l’on s’enfile allégrement par devant, par derrière et en famille. Création foutrement jubilatoire, scandaleuse, outrageuse, outrancière mais jamais, c’est un divin miracle, vulgaire. Un chat est un chat, une bite est une bite. Pas de fausse pudeur, pas de pudeur du tout, encore moins de tabou donc et de faux-semblants. Sodomie, inceste, scatologie, gérontologie, euthanasie, ça jouit par tous les bouts, à bout touchant, par tous les trous. Ça éjacule avec ou sans accessoire. Tout ça habilement (dé)troussé dans une intrigue familiale qui caracole de quiproquo en quiproquo et ne cesse de faire la culbute. C’est de l’Offenbach en chambre, du Feydeau sous viagra. Un week-end bucolique à la campagne qui vire à l’orgie, au dérèglement incestueux de tous les sens entre belle-mère lascive, beau-fils priapique, grand-mère nymphomane et scato, père démembré… Ça fourre sec dans les fourrés, ça bourre bourre et ratatam ! Ainsi fion fion ces marionnettes qui vocalisent leur jouissance, leur plaisir sans honte. Ciel mon gode ! Ou ce qui peut en tenir lieu, planqué dans le placard en lieu et place d’amants. C’est de la pornographie ludique et satyrique – laissons le y – c’est joyeusement obscène. C’est libertaire et satirique, et point d’y ici. C’est très malin. On ne voit à vrai dire pas grand-chose, juste de quoi imaginer, de quoi jubiler. C’est sacrément pervers car au final les pornographes ce sont bien nous, habilement détournés de nos presque chastes pensées par des dialogues étincelants de roublardises, formidablement crus et hilarant, une musique légère qui n’appuie jamais mais accompagne, sensuelle, perverse, trompeuse ces airs foutrement libertins où s’exprime sans fard ni métaphore et litote l’expression la plus triviale et directe du désir et du sexe. Et des acteurs-chanteurs qui suggèrent plus qu’ils ne montrent, tout en donnant en vrai hardeur du théâtre de leur personne et de leur voix. Ils simulent et alors ? Pas dupes, on s’en contrefout, nous qui atteignons l’orgasme, ce rire énorme qui secoue très vite la salle soudain orgiaque. Jean-Paul Muel, la vieille, inénarrable compose un personnage hors-norme, énorme, mais toujours juste, sans en rajouter dans le scabreux. Et sa partition est riche. Pourra-t-on oublier cette expression par lui lâchée comme une révélation « j’ai joui du cul ! »… C’est soudain Agnès version porno dans « Non le petit chat n’est pas mort ». Lara Neuman soprano est au diapason qui ose, à qui l’ont fait oser, une scène masturbatoire d’anthologie. Flannan Obé, le fils, dont le talent ne débande pas, impressionnant, à la mesure de ce qu’il a dans le caleçon… Et François-Michel Van Der Rest est tout entier dans son rôle malgré le dépeçage qui le voit bientôt diminuer de moitié. Ces quatre-là forment un formidable quatuor (dé)culotté, bourré de talent et de fantaisie débridée, d’impudeur assumée. Ils osent et s’en amusent dans cette partie carrée qui tourne si peu rond, bien plus retorse qu’il n’y parait. Pierre Guillois dont la mise en scène habile et sur-vitaminée, féroce et drôle, repousse avec une joyeuse amoralité les limites de la représentation de « la chose », mise soudain à découvert et toute nue, jette un gros pavé dans la mare, sodomisant sans vulgarité parce qu’affranchie de toute fausse pudeur et pudibonderie, en chantant fortissimo, la bien-pensance – le vilain mot – et la morale, appliquées à l’opéra, jusque-là intouchable, comme symbole de l’hypocrisie bourgeoise. L’obscène et le rire, la transgression deviennent ici critique, un acte éjaculatoire d’une formidable liberté, un acte de résistance. Car le plus obscène c’est bien le regard aveugle et sournois porté sur la chose, non la chose elle-même et sa représentation.

 

Opéraporno texte et mise en scène Pierre Guillois

Composition musicale et piano  Nicolas Ducloux
Avec Jean-Pierre Muel, Lara Neumann, Flannan Obé, Machel Van Der Rest
Violoncelle  Jérôme Huille
En alternance avec Grégoire Korniluk

Du 20 mars au 22 avril 2018 à 21h
Dimanche 15h, relâche les lundis, le 25 mars, le 1er et 3 avril

Théâtre du Rond-Point
2bis av. Franklin D. Roosevelt
75008 Paris

Réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

 

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