Critiques // « Open Space» de Mathilda May au Théâtre du Rond-Point

« Open Space» de Mathilda May au Théâtre du Rond-Point

Sep 05, 2014 | Commentaires fermés sur « Open Space» de Mathilda May au Théâtre du Rond-Point

ƒƒ article de Camille Hazard

OPEN SPACE (Mathilda MAY) 2013OPEN SPACE (Mathilda MAY) 2013p183751_4

© Pascal Victor

L’open-space d’une micro entreprise,
Six salariés,
Un patron,
Une journée

Mathilda May met en scène le monde du travail ; plus précisément, celui d’une petite entreprise. Bien loin des open-space spacieux et blanchis de Google, on est plutôt dans une entreprise style compagnie d’assurance, située en banlieue industrielle, non loin d’un aéroport…

Le temps d’une journée, ce monde de la rentabilité sans pitié est passé au crible à travers un regard burlesque, clownesque et bienveillant.
Spectacle visuel et sonore, on assiste au ballet des salariés, dans lequel la vie s’échappe. Plus que le travail lui-même, ce sont bien les gens, habituellement cachés derrière des chiffres, des courbes, des statistiques, qui intéressent Mathilda May.
Leurs réactions, leurs sentiments, leur attente, leur détresse.

Ces personnages semblent s’agiter au fond d’une cage, non pas parce qu’il s’agit d’une espèce inconnue mais parce que le monde du travail, en plus d’être absurde, est complètement clos pour celui qui en est extérieur. Les personnages de Mathilda May portent en eux une grande part de fragilité et d’humanité.

Il y a d’abord la jeune femme fraîchement sortie de ses études, timide, gauche et un peu scolaire. La bonne poire dont on abuse en lui remettant les dossiers que personne ne veut. Et la femme assumée, en jupe et talons bruyants. Femme épanouie, toujours en forme, toujours au taquet pour lâcher un rire de gorge à l’approche du mâle dominant. Il y a aussi la cinquantenaire, la commère et Madame-je-sais-tout. Plus très fraîche mais pas assez vieille pour espérer une retraite prochaine, elle entrecoupe sa journée de franches lampées d’alcool et finit l’œil torve, par tanguer entre les bureaux… Il y a cet homme aussi en fin de carrière, acharné de travail, carriériste et servile à souhait devant son patron. Il rit quand il faut rire, travaille quand il faut travailler, enfin rien ne dépasse chez lui sauf quand…
Mais revenons aux personnages de Mathilda May ! Il y a ce loup, cette jeune recrue, qu’on imagine sorti d’une grande école de commerce et qui n’a pas froid aux yeux. Dynamique, il sent l’after-shave. Toutes les femmes du bureau se languissent à son approche de la photocopieuse. Mais voilà…la machine à café tombe en panne et…
Non ! Nous ne dévoilerons pas l’affaire car nous allions oublier le dernier personnage! Celui que personne ne regarde, à qui personne n’adresse la parole. Il a fini, cet homme, par prendre la couleur beige de son bureau. Son occupation : tailler des crayons de bois. Une fois le dernier crayon taillé (et il a bien cherché !), il cherche a attirer l’attention auprès de ses collègues, en vain. L’homme mis au placard…

Point de mot pour révéler l’invisible mais plusieurs gammes de sons dans une partition sonore. Une langue qui révèle les intentions grâce aux sonorité et intonations, sorte de grommelot et borborygmes. Cette langue instinctive et unique à chaque personnage est rythmée par les bruits de bureau, classeurs, bâillements, sonneries de téléphone, claviers d’ordinateur… Ces sons et rythmes changent de figure selon les atmosphères réalistes / surréalistes, créées par des sons plus ponctuels, bruits d’avion, chasse d’eau des W.C, le vent, une foule en délire…

Un travail très original et plus qu’abouti ; les comédiens sont extraordinaires dans les mouvements, le jeu et le chant. Mathilda May a auditionné 150 acteurs pour n’en choisir que 7… Toutefois, si ce monde du travail clos est vu avec une grande humanité et beaucoup d’humour, on ne ressent peut être pas assez,dans les ruptures du spectacle, le tragique de l’homme qui est au bord du suicide, de la femme alcoolique, du harcèlement sexuel qui plane dès l’entrée du patron. La mécanique du spectacle est si bien réglée qu’elle ne laisse jamais la place au vide, au vide de ces vies, à l’essoufflement quand on ne peut plus suivre la danse, lorsque le corps dit non.

Open Space
Conception et mise en scène : Mathilda May
Collaboration artistique : Jean-François Auguste
Musique : Nicolas Montazaud, Mathilda May
Scénographie : Alain Lagarde
Lumière : Roberto Venturi, Odilon Leportier
Collaboration : Gil Galliot
Sound design : Sylvain Brunet
Costumes : Valérie Adda
Gumboots : Alban de la Blanchardière
Pole dance : Caroline Oziol
Avec : Stéphanie Barreau, Agathe Cemin, Gabriel Dermidjian, Loup-Denis Elion, Gil Galliot, Emmanuel Jeantet et DédeineVolk-Léonovitch

Du 4 septembre au 19 octobre 2014
Tous les jours à 21h, le dimanche à 15h (relâche le 7, 16, 17, et 18 septembre)
Théâtre du Rond-Point
Salle Renaud-Barrault
2 Bis, Avenue Franklin D.Roosevelt – 75008 Paris
M° Franklin D.Roosevelt – Champs-Elysées Clémenceau
Réservation 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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