À l'affiche, Critiques // Oh Louis… we move from the ballroom to hell while have to tell ourselves stories at night so what we can sleep… ; de Robyn Orlin, au Théâtre de la Cité Universitaire / Théâtre de la Ville hors les murs

Oh Louis… we move from the ballroom to hell while have to tell ourselves stories at night so what we can sleep… ; de Robyn Orlin, au Théâtre de la Cité Universitaire / Théâtre de la Ville hors les murs

Déc 19, 2017 | Commentaires fermés sur Oh Louis… we move from the ballroom to hell while have to tell ourselves stories at night so what we can sleep… ; de Robyn Orlin, au Théâtre de la Cité Universitaire / Théâtre de la Ville hors les murs

© Studio Habeas Corpus

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

L’humour grinçant de Robyn Orlin fait encore une fois merveille dans cette nouvelle performance menée tambour battant par le danseur étoile Benjamin Pech. Oh Louis… soulève les paradoxes d’un roi protecteur des arts et des lettres, danseur, mais monarque absolu, colonisateur et initiateur du Code noir, relatif à l’administration des colonies française et au gouvernement de l’esclavage, définissant entre autre l’esclave comme « bien meuble » (article 44). Benjamin Pech, royal comme il se doit, nous reçoit, en survêtement, en majesté et bientôt en slip, comme on reçoit ses sujets. Ne bougera que très peu du premier rang où il trône, apostrophe, tance, adoube le public, abuse du selfie comme on use son image dans un miroir, choisit sa favorite… Se refusant à danser, la hanche abîmée – détail authentique et radio à l’appui – il envoie une victime, une paire de bottines à la main,  sur le plateau expliquer les cinq positions usuelles des pieds pour un danseur classique. Une façon sans doute de se débarrasser de ce qui fit l’essentiel de sa carrière au sein de l’institution. Drague le claveciniste qui n’en peut mais. Et pour les heureux élus à qui l’on offre une orange, il explique comment manger celle-ci, à la sud-africaine. Parce que ce Louis-là revient d’Afrique après 300 ans, en compagnie d’autres migrants et n’a plus de papier. Et là nous rentrons dans le vif du sujet. Il suffit de jeter un coup d’œil au décor. Point de Galerie des glaces mais une immense couverture de survie sur le plateau, bientôt mer démontée dans lequel au final notre monarque en perdition se noie, esquissant quelque pas désespérés du lac des cygnes avant de sombrer corps et âme. Ne surnageront que quelques manteaux qui l’empesaient. On ne rit plus. Et derrière les fanfaronnades autoritaires de ce roi nu, le claveciniste impassible (Loris Barrucand, impeccable) entre deux airs lit le terrifiant code noir. Sous l’or et l’apparat la réalité d’un pouvoir absolutiste et colonialiste, la culture un levier de domination. De l’or arraché à l’Afrique ne reste aujourd’hui que des couvertures de survie. Raccourci net et cinglante métaphore. Robyn Orlin a cet art unique  des télescopages, des associations sèches, des renversements de perspectives subversifs. Nous sommes en représentation, Benjamin Pech en joue à merveille qui dénonce lui-même cette performance en s’interrogeant malicieusement sur son objet même qu’il n’est pas sûr d’avoir bien compris. Et pas sûr de pouvoir mener. Et d’ailleurs lui-même, tout vibrionnant, n’aborde jamais de front le réel objet de cette représentation. Subtile mise en abyme d’un pouvoir s’exposant. La cérémonie que mène Benjamin Pech est en elle-même une critique de cette exposition du corps du roi, donc de l’état. C’est en filigrane, sous les rires de cette apparente farce caustique, qu’il faut entendre le vrai propos. Et c’est là qu’intervient notre claveciniste marmoréen, tel Colbert, énonçant la réalité du Code noir. Et l’on rejoint le titre de cette pièce opérant cette bascule de la salle de bal à l’enfer.

La culture de Louis XIV se donnait aussi en spectacle comme un vecteur du pouvoir. Et ce que Robyn Orlin cherche et dénonce c’est bien les résurgences actuelles. Qu’en est-il de la culture aujourd’hui, de son rôle, de son impact ? Et si le Code noir fut aboli, dans notre monde chahuté où notre culture est mise en avant, récupérée politiquement même, les discriminations demeurent, parfois au nom de cette culture brandie comme constitutive d’un roman national. Qu’exacerbe et met à nu peut être et davantage encore la crise des migrants. Toutes ces questions traversent cette performance pas si foutraque qu’elle en a l’air et bien plus acide qu’elle n’y parait. Benjamin Pech, issu de l’Opéra de Paris, donc héritier et traversé de cette culture mise en place par Louis XIV, de sa pesanteur – souvenons-nous des remous au sein de cette institution qu’Allegro en 2007 chorégraphié par Robyn Orlin avaient provoqué parmi les danseurs – s’il ne danse pas, c’était un préalable avec la chorégraphe, ou ne fait qu’esquisser que quelques pas, est un sacré performer qui mène cette réflexion fissa avec une certaine jubilation, un sacré bagout, pas mal d’autodérision. On rit certes mais le rire s’effrite très vite et le final vous glace. Ce qui pouvait paraître bon enfant et dans l’entre soi, du moins était-ce la première impression, finit par se retourner, fatale dernière vague qui emporte Louis XIV, contre nous. Robyn Orlin n’a rien perdu de son mordant. Et le miroir tendu, fut-il un portable pour un ultime selfie, met le roi – et notre héritage – à nu.

 

Oh Louis…we move from the ballroom to the hell while we have to tell ourselves stories at night so that we can sleep… ; un projet de Robyn Orlin

Danseur  Benjamin Pech
Musicien  Loris Barrucand (Clavecin)
Scénographie  Atelier Maciej Fiszer
Chef de projet  Anouk Maugein
Création lumière  Laïs Foulc
Création costumes  Olivier Bériot
Assistance costumes  Studio Habeas Corpus
Vidéo  Eric Perroys et Robyn Orlin
Film  Milkshoot Vikram Gounassegarin

Du 13 au 22 décembre 2017 à 20h30
Relâche mercredi et dimanche

Théâtre de la Cité Internationale
17 bd Jourdan
75014 Paris

Réservations 01 43 13 50 50

www.theatredelacité.com

Tournée :
28 mars 2018 Kinneksbond, Centre culturel Mamer, Luxembourg
29 et 30 mai 2018, Théâtre de Caen

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