ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Il est des instants suspendus au théâtre où la magie opère avec peu de chose. Un auteur, un texte, deux comédiens, une table, quelques accessoires. Peter Brook et Marie-Hélène Estienne ont décidé de monter Oh les Beau-jours de Samuel Beckett à la table, une lecture donc, et pour deux comédiens magistraux, Kathryn Hunter et Marcello Magni. C’est une lecture oui, et bien plus encore. Texte en mains, ces deux-là ébauchent des intentions et c’est déjà une promesse formidable. Et quand ils délaissent leurs brochures, quand le jeu l’emporte, les emporte, nous emporte, la puissance, la profondeur et la subtilité, l’intelligence, de ce qu’ils nous offrent dans cette épure radicale, dans ce dépouillement sans apprêt, est tout simplement magnifique et bouleversant.
Kathryn Hunter, ce petit bout de femme à la voix si singulière, est une Winnie déchirante. Que d’humanité dans son regard, entre bonheur et souffrance, que de solitude aussi malgré la présence sporadique de Willie et de leur dialogue amoureux et doux-amer qui s’éteint doucement. Et dans cette routine absurde qui l’enferme aussi surement que le mamelon qui l’enserre, elle fait de chaque geste un élan vital. Et quand elle craque sur cet air de valse, Heure exquise, que les larmes viennent brutalement comme malgré elle, nulle consolation ne semble possible. L’émotion est là, palpable et indicible. Une très grande leçon de théâtre…
Marcello Magni, n’est pas dans le bas du décor, derrière le mamelon ou Beckett confine Willie. Sur le côté, à vue, sur un tabouret, il donne la réplique. Formidable lui aussi de présence burlesque et d’invention. Un tabouret que l’on renverse et voilà le trou de Willie. Surtout, en charge des didascalies, toujours minutieuses et importantes chez Beckett, il en fait autant de répliques, de réponses possibles au babillage de Winnie. Le leitmotiv « un temps », le silence et la temporalité qu’il induit est important dans l’œuvre mais Peter Brook − lecture oblige ou volonté délibérée − ne le respecte pas, devient une partition en soi, scandée, modulée par Marcello Magni. Willie acquiert ici une épaisseur insoupçonnée. Il devient le narrateur, personnage tout aussi central que Winnie.
« Oh le beau jour encore que ça va être ! » nous dit Winnie. Oh la belle soirée que ce fut pouvons-nous lui répondre…
Oh les beaux jours de Samuel Beckett
Lecture conçue par Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
Lumières Philippe Vialatte
Avec Kathryn Hunter et Marcello Magni
Du 7 au 16 octobre 2021
Du mardi au samedi à 20 h 30
Matinée les samedis à 15 h 30 et les dimanches à 16 h
Théâtre de Bouffes du Nord
37bis boulevard de la Chapelle
75010 Paris
Réservations 01 46 07 34 50
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