ƒ article de Camille Hazard
Notre œil remonte le temps à travers un tissu filtre, tiré en écran entre la scène et le public.
Une nouvelle fois, Castellucci nous immerge dans le temps, l’espace et le chaos. Et si nous chevauchons le temps de plusieurs millénaires c’est pour retrouver L’Œdipe Tyran de Hölderlin, mise en scène à travers des personnages bibliques. Jocaste a revêtu les habits de la Vierge Marie, Œdipe, ceux de Jésus et le chœur antique se meut dans la robe et le scapulaire des religieuses. En guise de prologue, des scènes muettes ou chantées, de moments de vie monacale tournoient sous nos yeux ; tableaux fulgurants entrecoupés de nombreux changements de décors, créant cette impression de bourrasque temporelle. Les lourds panneaux amovibles pivotent, avancent, reculent comme la clé du Temps que l’on remonterai pour nous raconter l’histoire de l’humanité. Avec l’achèvement de ce cycle, meurtrie est la religion ; à l’instar du lit d’une religieuse récemment défunte ; lit bancal avec un pied trop court…
La pièce Ödipus der Tyrann est entamée à haute voix par une des sœurs. Apparaît alors le Palais de Jocaste et résonnent enfin les mots de Hölderlin.
La tragédie qui ronge cette famille et la malédiction qui s’abat sur la Cité, provient plus de la faute que porte Œdipe à essayer de réfléchir et de comprendre que de ses actes eux-mêmes. L’auteur privilégie la piste universelle de la connaissance, ses tentations, ses limites plutôt que de la faute et l’aveuglement des hommes. Quoi de plus fort pour Castellucci, que de faire dialoguer ce texte avec le catholicisme qui a perdu Jésus comme Thèbes a perdu Œdipe. Castellucci nous regarde comme des enfants malades, nous qui avons perdu nos repères et notre Dieu.
L’histoire n’est faite que de cycles qui se ressemblent et deux mille quinze ans après la mort de Jésus, Dieu est mort. Nous avançons seuls dans la nuit, comme des êtres larvaires. La dernière scène nous montre tel quel ; les religieuses ont disparu, seuls trois ectoplasmes respirent lamentablement sur place en attente de réminiscence.
Si l’esthétique du spectacle est absolument sublime, le temps qu’use Castellucci pour nous montrer la mort de Dieu, de notre conscience et de notre monde est très long. Tous les personnages de la pièce sont tenus par des femmes, à part Tiresias. Cette communauté de femmes symbolisant le monde et la grâce est incarnée superbement par les comédiennes de la Schaubühne de Berlin.
Il reste encore deux spectacles de Roméo Castellucci à découvrir pendant ce Festival d’automne : Le Metope del Partenone à la Villette et Orestie (une comédie organique ?) au théâtre de l’Odéon.
Ödipus der Tyrann
De Friedrich Hölderlin
Mise en scène, scénographie, costumes Romeo Castellucci
Collaboration artistique Silvia Costa
Musique Scott Gibbons
Dramaturgie Piersandra Di Matteo, Florian Borchmeyer
Répétiteur Timo Kreuser
Assistant à la scénographie Mechthild Feuerstein
Lumière Erich Schneider
Vidéo Jake Witlen
Sculptures Giovanna Amoroso, Istvan Zimmermann-Plastikart StudioAvec Bernardo Arias Porras, Iris Becher, Jule Böwe, Rosabel Huguet, Ursina Lardi, Angela Winkler
Solistes Sirje Aleksandra Viise, Eva Zwedberg
Figurants Malene Ahlert, Amelie Baier, Ursula Cezanne, Sophia Fabian, Eléna Fichtner, Margot Fricke, Eva Günther, Rachel Hamm, Andrea Hartmann, Annette Höpfner, Nadine Karbacher, Sara Keller, Pia Koch, Feline Lang, Marion Neumann, Monika Reineck, Vanessa Richter, Helga Rosenberg, Ria Schindler, Janine Schneider, Regina Törn, Christina Wintz
Du 20 au 24 novembre 2015
Théâtre de la Ville
2, Place du Châtelet – 75004 Paris
M° Châtelet
Réservation au 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.comFestival d’Automne
Informations et réservation 01 53 45 17 17
www.festival-automne.com
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