Critique de Ottavia Locchi –

Il en faut, de la bonne volonté, pour monter Hervé Guibert !

Le Collectif Crypsum s’est lancé le défi passionnant de monter une pièce à partir d’extraits de Mes Parents d’Hervé Guibert. Le narcissisme extrême de ce texte pousse les interrogations sur son patrimoine génétique : une décortication maladive des géniteurs, et des anecdotes désabusées forment l’essentiel des textes déclamés.
Nous assistons donc à un énorme patchwork de monologues sans chronologie, sans logique ni fil conducteur, sauf ce sujet des géniteurs qui n’avaient sans doute rien demandé. Le roman original, se jouant déjà des codes et se présentant sous forme décousue, est remâché, interprété et mis à l’envers. On se demande même si pour l’adaptateur et metteur en scène Olivier Waibel, ce n’était pas la seule façon de rendre « interprétable » les mots de Guibert… Roman trahi ou roman sublimé ?

© Collectif Crypsum

Trois comédiens pour interpréter le monologue : ils sont à la fois le « je » de l’auteur et l’autre, quand échange il y a. Sauf que le jeu du « je » qui se multiplie laisse croire qu’on laisse la parole aux autres, la sœur, la mère, le père, ce qui n’est qu’une illusion, car c’est « je » qui parle pour l’autre. Ce dialogue avec soi-même laisse un constat amer sur la relation dans la réalité, et cette dissection scientifique des sentiments est d’un égocentrisme effarant. Hélas, sans l’intervention des fameux parents, point de dialogue, et donc point de construction. Le nombril de l’auteur se parle à lui-même, et le Collectif Crypsum tente de lui donner une valeur. Et oui, c’est difficile.

« Mes Parents » un texte-prétexte ?

© Collectif Crypsum

On sent dans le travail du Collectif Crypsum un véritable amour de la scène, et plus largement des arts visuels. La vidéo tient une place essentielle dans la mise en scène de cette création. Les comédiens deviennent eux aussi cinéastes, et une mise en abîme est même évoquée. Il y a beaucoup de bonnes idées sur la scène du Théâtre Gérard Philipe. Les trois comédiens forment ensemble un « je » unique, presque anonyme, comme un cri, et se servent d’accessoires pour alimenter la trame principale. Il y en a un petit paquet, d’accessoires, de décors, de scènes différentes. Ils multiplient les costumes, les rôles, les rythmes ! Ils sont soudainement la mère puis la sœur puis reviennent, se donnent la réplique ou complètent la même phrase, et sortent un autre carton de costumes. Même le décor change sans cesse, ils utilisent ce qu’il peuvent : la vidéo, les panneaux, les tables… Quelle agitation !
L’austérité du texte prend une forme bien vivante, presque un peu trop d’ailleurs. Pourquoi surcharger ? L’écrit est-il à ce point insuffisant pour justifier tant de surplus ? Ou est-ce l’occasion de montrer toutes les bonnes idées possibles avec trois panneaux et une caméra et tout mettre dans la même pièce ?

Malgré tout, le moment passé est plutôt agréable, on assiste à de belles performances de comédiens et de belles performances techniques avec la vidéo mêlée au jeu.
Mais cela laisse l’impression d’un immense atelier de recherche qui aurait oublié d’être déchiffrable.

Nos Parents
D’après : Hervé Guibert, « Mes Parents » (Ed. Gallimard)
Adaptation : Olivier Waibel
Mise en scène : Olivier Waibel et Alexandre Cardin
Avec : Alexandre Cardin, Anne Charneau, Miren Lassus Olasagasti
Construction et lumières : Jean-Luc Petit
Création vidéo : Alexandre Cardin, Thomas Rathier
Technicien son et vidéo : Jean-François Cuitat
Régie spectacle : Jean-Luc Petit, Olivier Waibel

Du 16 au 18 septembre 2011
Dans le cadre du festival Une Semaine en Compagnie

Théâtre Gérard Philipe – CDN
59 boulevard Jules Guesde, 93 207 Saint-Denis
Métro Saint-Denis Basilique
- Réservations 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilipe.com

www.crypsum.fr

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