ƒƒ article de Florent Mirandole

© Simon Gosselin

Jean est un jeune loup. Employé d’« Outsource », une société spécialisée dans le conseil, le personnage principal de Nobody incarne le parfait jeune cadre arriviste. Cravates onéreuses, horaires de bureaux à rallonge et « franglais » de fonction, le personnage de Jean semble plat, vide, creux. Mais Jean regarde de plus en plus longtemps par la fenêtre. Au bureau, chez lui, son esprit s’éclipse de brefs moments. Or le système pour lequel il vit s’avère particulièrement sévère avec ceux qui regardent par la fenêtre.

Les thèmes abordés par la pièce de Falk Richter ne sont pas particulièrement neufs. Le portrait de ce jeune loup ambitieux sent fort les années 1990, avec cette confiance aveugle dans les lois du marché et cette solitude urbaine des nouveaux cadres dynamiques. Pourtant l’impression d’assister à une réunion de yuppies sur le retour est atténuée par l’intelligence de la pièce, et en premier lieu par celle de son texte. Falk Richter apporte un texte fin, juste, malaxant la novlangue du capitalisme avec un plaisir certain, pour en presser toute la violence et l’ironie glaciale. La langue est encore là pour montrer l’incapacité de ces personnages à communiquer. « Quoi ? », « Pourquoi ? », « je ne te comprends pas » ponctuent quelques uns des dialogues surréalistes de Jean. Symbole d’une hyper compétition, l’individualisme forcené de ce milieu produit paradoxalement des individualités incapables de s’exprimer autrement qu’à travers des slides de « surfing call » ou de  « personal effectiveness ».

La pièce est conduite par des comédiens particulièrement justes. Jeunes, ils incarnent sans sourciller la petite équipe de requins dont les seuls instincts semblent être d’absorber leurs semblables et de licencier les employés superflus. « 40% des travailleurs effectuent un travail simulé » rappelle l’un des collègues de Jean. La paire de comédiens incarnant les dirigeants d’« Outsource » s’avère particulièrement douée pour encadrer cette armée de petits soldats d’un capitalisme extrémiste, exprimant avec une chaleur malsaine les phrases les plus creuses.

L’originalité formelle de la pièce est de donner également l’occasion à Cyril Teste de réaliser une performance filmique, une captation de la pièce montée et mixée en direct sur un écran situé au-dessus de la scène. Le procédé apporte ici un plus esthétique, permettant aux cadreurs de mieux exploiter la froideur du décor ou de pénétrer plus avant la conscience des personnages. Si la performance s’avère réussie, son apport reste mesuré compte tenu de l’importance du dispositif technique mis en place. Se contentant régulièrement de « capter » les scènes, les caméras explorent peu les hors champs ou créent peu de décalage avec ce que l’on observe sur scène. Nobody s’avère  toutefois une pièce parfaitement maîtrisée, matière première à un film qui, s’il n’innove pas sur le thème traité, met en valeur des comédiens et un texte particulièrement justes.

Nobody
Metteur en scène Cyril Teste
Assistante à la mise en scène Marion Pellissier
Scénographie Cyril Teste et Julien Boizard
Lumières Julien Boizard
Chef opérateur Nicolas Doremus
Cadreur Christophe Gaultier
Musique originale Nihil Bordures
Chef opérateur son Thibault Lamy
Montage en direct et régie vidéo 
Mehdi Toutain-Lopez
Lumière Julien Boizard, Guillaume Allory et Simon André (en alternance)
Régie costume Marion Montel

Avec le collectif d’acteurs La Carte Blanche : 
Elsa Agnès, Fanny Arnulf, Victor Assié, Laurie Barthélémy, Pauline Collin, Florent Dupuis, Katia Ferreira, MathiasLabelle, Quentin Ménard, Sylvère Santin, 
Morgan Lloyd Sicard, Camille Soulerin, Vincent Steinebach, Rébecca Truffot

Du 8 au 13 décembre 2015
Du mardi jeudi à 21h, samedi à 17h, dimanche à 15h

LE CENTQUATRE
5, rue Curial – 75019 Paris
réservations 01 53 35 50 00
www.le104.fr

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