Critiques // Nixon in China, de John Adams, mise en scène de Valentina Carasco, Opéra national de Paris / Opéra Bastille 

Nixon in China, de John Adams, mise en scène de Valentina Carasco, Opéra national de Paris / Opéra Bastille 

Mar 27, 2023 | Commentaires fermés sur Nixon in China, de John Adams, mise en scène de Valentina Carasco, Opéra national de Paris / Opéra Bastille 

 

© Christophe Pelé

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Nixon in China est l’opéra le plus connu du compositeur John Adams. L’idée d’utiliser la visite historique de Nixon en Chine en 1972 lui a été soufflée par Peter Sellars, qui en a signé la première mise en scène pour sa création à Houston en 1987, avec un livret écrit par Alice Goodman (également librettiste du deuxième opéra d’Adams).

Il entre aujourd’hui au répertoire de l’Opéra national de Paris. Cela faisait dix ans qu’il n’avait pas été joué en France ; c’était au Châtelet dans une mise en scène très réaliste de Chen Shi-Zheng, avec un beau plateau vocal (on se souvient en particulier de June Anderson aussi convaincante par sa prestation vocale que de comédienne ; d’Alfred Kim en Mao plus distingué que bonhomme, et de Peter Sidhom en Kissinger d’une vulgarité extrême) et des chorégraphies tirées au cordeau.

A Bastille, les grands moyens ont été employés du côté de la mise en scène, comme de la distribution. La metteuse en scène argentine Valentina Carasco donne en effet au voyage de Richard et Pat Nixon en Chine fin février 1972, tel que mis en musique par la partition partiellement circulaire du compositeur minimaliste américain et les mots de la poétesse américaine (devenue pasteur en Angleterre), une illustration plus allégorique qui ne manque pas d’intérêt. Mais si on comprend qu’elle ne veuille pas oublier les évènements dans leur réalité (notamment avec des archives photographiques à l’appui qui rythment les trois actes), l’on se serait attendu à une mise en miroir avec le contexte géopolitique actuel, par exemple à l’occasion de l’évocation de l’enrichissement potentiel de la Chine lors de la fameuse scène 2 du bureau de l’Acte I. Cette scène est cependant visuellement superbe quand tout le plateau de la pièce bibliothèque se soulève et laisse voir le sous-sol des geôles où sont brulés les livres et torturés les artistes  –  en l’occurrence le violoniste qui deviendra directeur du conservatoire de Shanghai (dont un extrait vidéo fera le récit). Car pourquoi remonter aujourd’hui Nixon in China si ce n’est pour essayer de voir en quoi il peut interroger notre réflexion actuelle sur l’explosion des blocs d’hier en pleine Guerre froide et les nouvelles menaces de recompositions de nouvelles alliances (Russie – Chine) face à l’Occident ?

Valentina Carasco préfère rester dans le contexte historique de l’époque et de son monde binaire en travaillant un motif allégorique qui revient comme un leitmotiv, celui de la  « ping-pong  diplomacy » expression venant des prémisses de l’événement politique, ayant pour origine des rencontres des équipes nationales de cette spécialité sportive qui eurent lieu aux  championnats du monde de Nagoya, puis  une  invitation  de l’équipe américaine en Chine. Dès la scène d’ouverture, deux joueurs (rouge et bleu) masqués (le sens des masques animaliers nous a toutefois échappé) s’affrontent devant une table de ping-pong, mimant au ralenti un match sans balle réelle. Les tables se multiplient ensuite par dizaines avant de laisser place à l’atterrissage d’un oiseau gigantesque aux yeux jaunes menaçant(s), l’avion du couple présidentiel américain, qui arrive peu après depuis le fond du plateau. L’oiseau repartira à la fin de l’opéra avec des yeux rouges cette fois, couleur symbolique de la République populaire, celle de l’autre créature animale, un dragon, qui a fait sensation dans le public quand il se mit à se mouvoir en prenant des poses félines avec René Fleming, en manteau… rouge. Son monologue débute derrière un rideau de petites   balles de ping-pong, comme une constellation mouvante et onirique, qui reflète la joie naïve de Mme Nixon dans sa découverte de la Chine.

Du côté de la distribution, Thomas Hampson est parfait dans le jeu de Richard Nixon, et s’il met un peu de temps à chauffer sa voix, sa prestation est irréprochable par la suite. Renée Fleming incarne impeccablement la première dame américaine souriante et émue par son expérience chinoise ; à 64 ans les aigus sont encore très beaux et les médiums sont naturels et chaleureux. La belle basse de Joshua Bloom campe un Henry Kissinger efficace (plus cynique et moins vulgaire que Peter Sidhom précité). Le physique du ténor John Matthews Myers correspond bien à l’image attendue de Mao, et il offre des aigus limpides, même si parfois la projection est difficile notamment dans la scène 2 de l’Acte I, peut-être en raison de la distance imposée par la scénographie. Le baryton Xiaomeng Zhang figure un Zhou Enlai superbement sombre avec de belles vibrations. Kathleen Kim est une Chiang Ch’ing (épouse de Mao) cinglante à souhait, vocalement comme dans sa gestuelle. Quant au trio, il faut bien dire un peu ingrat des secrétaires de Mao, Yajie Zhang, Ning Liang et Emanuela Pascu s’en sortent très bien, y compris dans la scène qui les fait se mouvoir dans un manteau commun telles des triplées inséparables.

L’orchestre est dirigé de manière très rigoureuse par Gustavo Duhamel, dès l’ouverture qui est superbe, même si l’on a ressenti ensuite de petits décalages avec le plateau dans la première partie et notamment avec le Chœur dans un de ses passages de la scène 1 de l’Acte II (alors qu’il chante des coulisses), où un léger flottement s’est fait sentir, alors que pour le reste ce dernier est à la hauteur de sa réputation,  dès la première scène de ping-pong chorégraphiée, dont le décalage avec le tempo de la musique ne devait pas être aisé à gérer.

Une réussite incontestable donc pour l’entrée au répertoire de cette œuvre dans une certaine mesure un peu datée, et pour Valentina Carasco, ovationnée par le public de la première, ainsi que l’ensemble de son équipe et de la distribution.

 

© Christophe Pelé

 

Nixon in China de John Adams

Direction musicale : Gustavo Dudamel

Mise en scène :  Valentina Carasco

Décors : Carkes Berga, Peter van Praet

Costumes : Sylvia Aymonino

Lumières : Peter van Praet

Création sonore : Mark Grey

Chef des Chœurs : Ching-Lien Wu

Avec :  Thomas Hampson, Renée Fleming, Xiaomeng Zhang, Joshua Bloom,

John Matthew Myers, Kathleen Kim, Yajie Zhang, Ning Liang, Emanuela Pascu

Et L’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra national de Paris

 

Jusqu’au 16 avril 2023, à 19h30

Durée 3h (avec entracte)

 

Opéra national de Paris / Opéra Bastille)

Place de la Bastille

75012 Paris

 

Réservations : www.operadeparis.fr

Retransmission le 7 avril sur la plateforme « L’Opéra chez soi »

 

 

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