ƒƒ article de Denis Sanglard
© Chris Van der Burght
Nicht schlafen dernière création d’Alain Platel, puise sa source vive dans les symphonies et les chants de Gustav Mahler, associée à la musique africaine pygmée, celle de Boule et Russel, présents sur le plateau pour improviser sur cette musique qui signe la fin du romantisme du 19e, s’ouvre sur le 20e et le modernisme ; une période d’incertitude et de créations, la grande guerre de 1914 en point d’orgue tragique. Un basculement où un monde se fragmente, disparaît dans la violence pour se réinventer. Une période où la création, la technologie, la communication prennent un nouvel essor, où l’incertitude, l’angoisse dominent. Etrange et riche période qui n’est pas sans rappeler la nôtre. Et c’est cela au final qu’interroge et chorégraphie Alain Platel, cette confusion propre à tout basculement, ce désarroi et cette violence, dans un élan, une urgence et un souffle devenus vitaux dans ce chaos qui signe la fin d’un monde en apnée. Et c’est bien le chaos et la violence, la confusion, qui ouvrent avec fracas cette création. Première image, étirée jusqu’à son épuisement et celui des danseurs, où les corps se cherchent, se heurtent, s’empoignent, se frappent, s’entredéchirent sans merci, arrachant les vêtements de leurs victimes bientôt en lambeaux, avant de s’effondrer. Bacchanale féroce, scène primitive, animale, archaïque. Scène de guerre que trois cadavres de chevaux enlacés sur le plateau, qu’un rideau déchiré au lointain affirment de manière radicale. Et c’est bien sous le signe du conflit, larvé ou non, en devenir, que cette pièce organique, charnelle, faite de fragments, de ruptures, comme les symphonies de Gustav Mahler, qu’Alain Platel organise le chaos. Une chorégraphie comme un palimpseste qui voit ressurgir par bribes, sous le vocabulaire résolument contemporain et énergique du chorégraphe, sa signature, les signatures de ceux qui ouvrirent la danse à la modernité. On reconnait l’emprunt volontaire, avant déstructuration, voire désarticulation, à Isadora Duncan, Les Ballets Russes et leurs contemporains… lesquels dansaient sur un volcan. Et même un clin d’œil malicieux au film Mort à Venise de Luchino Visconti où le geste plein de mystère de Tadzio sur l’adagietto de la 5e symphonie quand meurt Aschenbach – inspiré de Gustav Mahler – est repris. Mais ce qui se danse sur le plateau où règne une confusion volontaire et brute qui demande d’affuter son intuition pour ne pas se perdre dans cet entrelac de propositions disparates tant Alain Platel brouille les pistes des possibles narratifs, diversifie, éclate les actions avec pour seul lien ténu ce sentiment d’urgence absolu, voire de survie, de fragilité, d’instinct vital qui perce sous le tissus social, la communauté. C’est un crescendo stupéfiant qui vous tétanise et l’engagement des danseurs, leur énergie fougueuse, y est pour beaucoup. Les ensembles émeuvent par leur soudaineté et même leur brièveté parfois, comme des esquisses d’un vivre ensemble possible. Des ensembles qui se désagrègent sous la violence qui sourd et surgit sans crier gare. C’est une oscillation permanente, une intranquilité fiévreuse qui voit se faire et se défaire ce ballet apocalyptique. Jusqu’à ce que, patatras tout s’effondre ! La dernière partie se dégonfle après une montée en puissance phénoménale. Libres d’improviser sur la symphonie N° 2, partie 1, les danseurs soudain livrés à eux même, sensés exprimer une quête de la joie, se perdent et nous perdent dans ce qui devient impromptu un grand bazar, du n’importe quoi en somme, qui lasse très vite par son manque de tenue et de rigueur. Les danseurs s’en donnent à cœur joie, certes, mais on décroche, on dévisse brutalement devant cette explosion du collectif, une des forces de cette pièce, pour un tableau étrange où chacun des danseurs semblent ne plus se préoccuper de l’autre, vaquant à ses propres affaires… On reste ainsi quelque peu dépité, frustré devant ce gâchis, cette fin inattendue. Pas rancunier pour autant pour ce pas de côté devant une création fébrile qui interroge notre monde inquiet avec une lucidité exacerbée, à l’aune du siècle précédent, à l’aune d’un compositeur emblématique dont la résonance vibre encore aujourd’hui douloureusement, reconnaissons une création sans concession et d’une grande force, à l’impact certain.
Nicht schlafen (pas dormir) mise en scène d’Alain Platel
Composition et direction musicale Steven
Création et interprétations Ido Batash, Bérangère Bodin, Romain Guion, David Le Borgne, Samir M’Kirech, Boule Mpanya, Dario Rigaglia, Elie Tass, Russel Tshiebua
Dramaturgie Hikdegard De Vuyst
Dramaturgie musicale Jan Vandenhouwe
Assistance artistique Quand Bui Ngoc
Scénographie Berlinde De Bruyckere
Création éclairage Carlo Bourguignon
Création son Bartold Uyttersprot
Création costumes Dorine Demuynck
Régisseur plateau Wim van de Cappelle
Photographie Chris van den Burght
Direction de production Valérie Desmetdu 23 au 27 mai 2017 à 20h
samedi à 18h
tournée : 8 et 9 juin 2017 Le Lieu Unique, Nantes
12 et 13 juin 2017 Théâtre de l’Archipel, PerpignanMC93 / Maison de la culture de Seine Saint Denis
9 boulevard Lénine
93000 Bobigny
M° ligne 5 Bobigny Pablo Picasso
réservations 01 41 60 72 72
mc93.com
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