© Laszlo Szito
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Léger, léger comme un souffle, léger et non sans gravité. Vision d’Istanbul, du Bosphore menacé – nous sommes en 2003 – par la guerre d’Irak. Et pourtant Nefés, création de Pina Bausch, malgré l’inquiétude porte une foi inébranlable en l’amour. Encore une fois rien n’est occulté des rapports complexes entre hommes et femmes et si ce n’est de l’insouciance il y a dans cette création-là une légèreté à laquelle nous n’étions pas pour lors habitués. Vision fantasmée d’une Turquie pas encore dans les mains d’Erdogan, entre hammam et verre de thé. Sur ce plateau étrangement, étonnamment nu où l’eau sourd et forme un lac, tombe des cintres, comme unique décors, cette eau qui borde la ville, par la Corne d’or et la mer de Marmara, semble, comme laisse de mer, laisser sa trace ondoyante sur cette chorégraphie. Tout est mouvant ici, fluide. Pourtant quelque chose insidieusement flotte et menace de s’effondrer dans ce lac qui lui aussi disparait bientôt. Ce n’est plus à l’Irak que l’on songe mais à la Turquie d’aujourd’hui… Cette légèreté est un leurre. Les cheveux déliées des femmes que l’on brosse couvrent les faces, deviennent hijab. Cheveux que les hommes caressent comme on caresse son chien. Images fugaces mais prégnantes malgré l’humeur joueuse des couples frondeurs qui ne cessent de se chercher, de se former, de s’enlacer, de se fuir. Il y a comme une urgence, une soif pour conjurer la menace. Les femmes ont la part belle ici, les solos féminins s’enchaînent, fébriles, nerveux, sensuels et somptueux devant le regard des hommes admiratifs. L’avenir est là affirme Pina Bausch, l’avenir est au cœur battant du féminin. C’est avec Nefés sans doute le temps de la réconciliation – provisoire – entre les sexes devant l’inquiétude d’un avenir incertain. Une respiration. Alors on danse pour ne pas être perdus, injonction de Pina Bausch tant reprise depuis, mais qui ici prend sans nul doute tout son sens prémonitoire. Reprendre le répertoire de la compagnie a ce mérite d’éclairer ce qui sans doute nous échappait alors malgré notre admiration absolue. L’incompréhension relative devant un changement de cap radical qui n’excluait en rien le génie malicieux et grave, attentif, de la dame en noir, s’efface, là devant nous. Pina Bausch conjurait l’avenir, exhortait le présent. Un présent porté par de nouveaux interprètes, mêlés aux anciens, qui se glissent sans barguigner dans le rôle taillés jusqu’alors sur mesure pour leurs aînés, transmis par eux, pas plus gênés que ça dans ces habits qu’ils retaillent à leur démesure, leurs personnalités affirmées.
Nefés une pièce de Pina Bausch
Mise en scène et chorégraphie Pina Bausch
Décors et vidéos Peter Pabst
Costumes Mariuon Cito
Collaboration musicale Mathias Burkert, Andreas Eisenschneider
Collaboration Marion Cito, Helena Pikon, Robert Sturm
Assistante décor Gerburg Stoffel
Assistante costumes Birgit Stoessel
Direction des répétitions Ruth Amarante, Helena Pikon, Robert Sturm
Avec Ruth Amarante/Tsai Chin Yu, Pau Aran Gimeno, Emma Barrowman/Blanca Noguerol Ramirez, Rainer Behr/Douglas Letheren, Damiano Ottavio Bigi/Oleg Stepanov, Cagdas Ermis, Ilvia Farias Heredia/ Tsai-Wei Tien, Jonathan Fredrickson, Ditta Miranda Jasjfi, Nayoung Kim, Daphnis Kokkinos/Michael Carter, Beanna O’Mara, Nazareth Panadero, Joge Puerta Armenta/Milan Kampfer, Azusa Seyama, Shantala Shivalingappa, Julian Stierle, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Ophelia Young
Du 2 au 12 juillet 2018 à 20h
Théâtre des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Réservation 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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