Critiques // « Mon colonel, lettres du Lieutenant Bertrand au Colonel Claret (1915-1919) », de Laurent Claret au théâtre du Local

« Mon colonel, lettres du Lieutenant Bertrand au Colonel Claret (1915-1919) », de Laurent Claret au théâtre du Local

Mar 29, 2015 | Commentaires fermés sur « Mon colonel, lettres du Lieutenant Bertrand au Colonel Claret (1915-1919) », de Laurent Claret au théâtre du Local

article d’Anna Grahm

10628250_591690810936902_3466481954236037036_n© Didier Goudal

C’est l’histoire d’une amitié soigneusement conservée depuis plus de 100 ans. C’est un petit bout de la Grande Guerre. L’histoire d’un homme pris dans la tourmente de l’Histoire.

C’est dans la maison paternelle que l’acteur a retrouvé plus de 50 lettres adressées à son illustre arrière grand-père : le colonel Émile Claret. Dans cette correspondance la mémoire du lieutenant de cavalerie se déploie, toute en pudeur et clairvoyance.

Les basses majestueuses du basson installent dès le début une étrange épaisseur, une gravité solennelle et le son stagne dans l’atmosphère, colle comme un liquide invisible et poisseux, comme ce gaz qui lentement est entré dans les bronches du lieutenant Bertrand. Mais de sa souffrance, de ses yeux irrités, des hurlements de ses compagnons d’armes, il ne dira rien. Car celui qui se présente en pantalon garance et tunique d’officier fait partie de ces hommes qui ne se plaignent pas.

Le personnage ne se départit jamais de son panache. De son enthousiasme. De son courage. Et si la voix du basson prend des airs sombres, le lieutenant Bertrand, lui, reste fier de la collaboration de ses hommes, fier et intraitable sur son engagement. Malgré une blessure irréparable au bras causée par un obus, il ne désarme pas et tache même du mieux qu’il peut de remonter le moral de ses troupes. Il s’efforce de se montrer en toute circonstance exemplaire, un modèle d’homme comme l’avait été pour lui, son cher colonel.

A travers ses récits, on devine les tâtonnements de la médecine d’alors totalement dépassée par les progrès de la guerre, on voit l’artillerie lourde se multiplier, et les armées d’élite, si légères, si mobiles tomber en désuétude, on entend l’effroi, le devenir industriel en marche et la campagne éventrée, et les pertes de plus en plus monstrueuses et les assauts de ses cavaliers pour rien. On sent à demi-mot, la colère retenue de cet homme d’excellence qui peu à peu prend conscience que la courte mobilisation sera très longue et très dure, on devine sa pitié face aux humbles qui s’avancent sur le champ de bataille, on entend ses regrets quand il apprend le décès de ses proches, sa mère, dont il s’est tant éloigné. On sourit lorsqu’il s’offusque devant ces orateurs de cabaret, on s’ébahit de ses lucidités, de ses analyses, de ses prédictions. Il avait compris que ce traité de paix ramènerait la guerre dans vingt ans !

La petite malle qui le suit partout marque les transitions, les attentes de guérison, les nouvelles affectations, il la balade avec lui d’un point à l’autre du plateau vide. Ici, blessé mis à l’index à l’arrière comme archiviste, il peste, supplie le ciel de le renvoyer au combat. Priez pour moi mon colonel. Continuer coûte que coûte à servir, ce vaillant militaire garde chevillée au corps la volonté farouche d’en découdre, il ne cesse de renouveler ses prières, il veut par-dessus tout en finir avec les boches. La tessiture grave du basson accompagne sa solitude, et pour le soulager de ses problèmes de couple, de sa culpabilité d’être cloué au lit, sonne la sirène du paquebot. Et le voilà au Maroc, à Rabat, à Tanger, et le voilà tout emprunt de ses idées coloniales, ravi de la beauté des lieux et plus que jamais conquérant. Mais malgré son indéfectible loyauté, les multiples sacrifices, son sens du devoir exacerbé, malgré sa foi de catholique inébranlable, le lieutenant Bertrand atteint de tuberculose sera contraint de rentrer au foyer.

Laurent Claret restitue avec respect, simplicité et jubilation toute la droiture, toute l’exigence, toute la ferveur de celui qui vit pour toujours dans ses documents. Il réaffirme le souhait de celui qui espérait que cette guerre puisse rendre l’humanité meilleure et plus raisonnable.

Mon colonel, lettres du Lieutenant Bertrand au Colonel Claret (1915-1919)
Adaptation et mise en scène de Laurent Claret
Musique Philippe Defosse-horridge
Lumière Hervé Bontemps
Avec Laurent Claret, Philippe Defosse-horridge (basson)

Théâtre du Local
18, rue l’Orillon – 75011 Paris

vendredi et samedi à 20h 30
dimanche à 17 h
lundi à 19 h

réservations  01 46 36 11 89
www.le-local.net

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