© Vahid Amanpour
f article de Denis Sanglard
Au commencement était Woyzeck de Georg Büchner, pièce fragmentée, inachevée, histoire d’un soldat, troufion humilié par sa hiérarchie, trompée par sa femme Marie. Histoire d’un féminicide aussi. De ce matériaux elliptique, Eugène Durif tisse avec le talent qu’on lui reconnait une nouvelle pièce, palimpseste concentré sur l’interrogatoire et l’aveux de Woyzeck, torturé de fait. Torture méthodique et mécanique pour atteindre une vérité, la reconstitution d’un féminicide et de ce qui l’a provoqué. Monologue d’un homme soumis à la question, devenu rat de laboratoire, objet d’expérimentation. On songe bien évidemment de triste et toujours actualité à la prison de Guantánamo, inventive dans l’expérimentation barbare et sadique de la torture. La parole libérée par force est le seul espace de cet homme contraint, le corps plongé dans une cage de verre se remplissant d’eau, menacé de noyade, abruti, assommé, impacté mentalement et physiquement par les variations de fréquence d’un son strident travaillé et envoyé à dessein, une méthode innovante. C’est à cette triste et implacable mécanique d’une violence crue qui arrache l’aveux d’un pauvre bougre que Karelle Prugnaud s’attache, au plus près du texte, et qu’elle met en scène dans un dispositif scénique remarquable. Mise en scène spectaculaire, au sens premier du terme, dans son déploiement technologique et acoustique, en parfaite adéquation avec son sujet qui appelle à la performance (au réel) de l’acteur, prisonnier dans un étroit aquarium, bientôt noyé, surveillé par des caméras, harcelé de question par son bourreau anonyme. C’est d’une force peu commune dans sa représentation qui se refuse à toute complaisance dans sa brutalité où la parole, et sa vérité, ne répond, ne dépend que de sa soumission à un système inoui. Cela aurait pu nous happer, il y a de quoi, s’il n’y avait, dans le rôle complexe de Woyzeck, Bertrand de Roffignac en totale inadéquation avec la mise en scène. Bertrand de Roffignac ne semble pas être sorti de son rôle d’Arlequin, comme à peine descendu du plateau de Ma jeunesse exaltée d’Olivier Py, dont il reproduit ici le jeu dans son outrance et sans vraiment de nuance. Bertrand de Roffignac surjoue, cabotine, et trahit cette mise en scène singulière, la portant hors d’elle-même, la désaxant, annulant ses intentions, annihilant sa force et sa portée. Quelques rares instants de confidences murmurées, comme échappées, suggèrent ce qui aurait été possible pourtant dans l’appréhension de ce rôle et de cette mise en scène qui lui échappe. Trac d’une première parisienne ? On l’espère. Parce que cette mise en scène, pour ce qu’elle est intrinsèquement et ce qu’elle dénonce et qui dépasse le simple cas du soldat Woyzeck, mérite d’être vraiment défendue, au premier chef par son interprète. Moins que rien aurait ainsi gagné davantage.
© Vahid Amanpour
Moins que rien, texte d’Eugène Durif, d’après Woyzeck de Georg Büchner
Mise en scène de Karelle Prugnaud
Avec : Bertrand de Roffignac
Création sonore : Kerwin Rolland
Scénographie : Gérald Groult
Plasticien : Tarik Naoui
Jusqu’au 7 décembre 2024
Mardi, mercredi, vendredi à 20h
Jeudi à 19h
Samedi à 16h
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris
Réservations : 01 45 45 49 77
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