© Brian Jurin-Dutreilly
ƒƒ Article de Corinne François-Denève
Août 2018. Depuis quatre ans, combien de pièces sur la Grande Guerre ? Combien de commandes officielles, de spectacles qui placent avant l’artistique l’opportunisme de la commémoration ? Au début de Moi, soldat inconnu, il est vrai que l’on craint le pire. Le metteur en scène a fait le choix de représenter une cagna, sur le front, avec tous les risques que cela comporte (comment rendre, par exemple, une attaque aérienne sans être ridicule ?) Les premières minutes nous rassurent peu. Dans d’assourdissants bruits d’obus, le jeune comédien, en tenue bleu horizon, se jette à terre, maniant son fusil de façon désordonnée, pointant de temps en temps le canon vers la salle (et on espère que l’accessoiriste a été vigilant.) Dans la tranchée, deux soldats, un jeune et un vieux, qui discutent entre deux attaques. S’enchaînent les morceaux de bravoure attendus d’une pièce sur 14-18 : le premier élan patriotique, bientôt battu en brèche, la détresse des femmes, puis leur ingratitude, le dégoût des poilus, la bouffe infecte qu’ils ingèrent, l’indignité de l’État-Major, l’omniprésente peur de la mort – tout cela fait partie du cahier des charges, et certains épisodes (le vol de bottes à un mort) ont été vus ailleurs.
Toutefois, très vite aussi, on se prend à espérer. L’espace est très intelligemment utilisé, la bande son est de qualité, les costumes et les décors soignés, sans verser dans la reconstitution historique gênante. La scénographie, qui dégage un espace vers un lumineux lointain, découpant sur un fond clair la silhouette d’un tout petit arbre, enfantin, dérisoire, faussement optimiste, est même très belle. Le personnage féminin de Marie vient de temps en temps, dans des apparitions fantasmatiques, occuper l’espace de la cagna, en chantant, devisant, cousant – la lumineuse et sensible Amala Landré fait beaucoup pour rendre vibrant et délicat ce personnage.
C’est Grégory Duvall, qui interprète le jeune soldat, qui a écrit la pièce. Il en a fait une histoire intelligente et habile. Très vite, le plaidoyer pacifiste et patriotique se transforme en « buddy movie » couplé à un impossible film d’évasion : deux amis que le hasard a réunis cherchent à s’en sortir – on se doute que cela finira très mal. De fait, la fin est très émouvante, même si l’on peut regretter l’ajout d’un épilogue un peu forcé, un peu pompier, peut-être pour se conformer à la vocation d’un spectacle labellisé « mission centenaire ». Il n’en reste pas moins que la sincérité du propos, le talent et l’engagement des trois comédiens, en font un spectacle plus que recommandable.
Moi, soldat inconnu, de Grégory Duvall et mise en scène de Philippe Ogouz
Avec Amala Landré, Jean-Claude Robbe, Grégory Duvall
Lumières André Diot
Son Michel Winogradoff
Décor Nils Zachariasen
Costumes Virginie H
Assistant mise en scène Brian Jurin-Dutreilly
Durée 1h15
Du 29 août au 21 octobre 2018
Du mercredi au samedi à 19h30 et le dimanche à 19h
Théâtre Montmartre Galabru
4 rue de l’Armée d’Orient (face au 53 rue Lepic)
75018 Paris
Métro Blanche ou Abbesses
Réservations : 01 42 23 15 85
http://theatregalabru.com
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