À l'affiche, Critiques // Moâ, Sacha !, d’après l’œuvre de Sacha Guitry, spectacle conçu par Christophe Barbier, Théâtre de Poche

Moâ, Sacha !, d’après l’œuvre de Sacha Guitry, spectacle conçu par Christophe Barbier, Théâtre de Poche

Avr 19, 2019 | Commentaires fermés sur Moâ, Sacha !, d’après l’œuvre de Sacha Guitry, spectacle conçu par Christophe Barbier, Théâtre de Poche

© Pascal Gely
 

ƒƒ article de Corinne François-Denève

Le programme du Poche, toujours joliment présenté, indiquait ceci : « « Accusé Guitry, levez-vous ! » En août 1944, Sacha Guitry se retrouve dans le bureau d’un juge… ». Au second regard, on s’aperçoit que la phrase suivante est : « Il ne s’agit pas seulement de l’interroger sur sa conduite pendant la guerre, mais bel et bien de retracer toute son existence ». Il faut toujours lire les programmes jusqu’au bout : cette mention du procès, de la guerre, d’août 1944, est terriblement trompeuse. Certes, la pièce commence bien par cet interrogatoire, mené par un juge à son bureau, face à un Sacha non en écharpe rouge, mais en peignoir écarlate. Mais on cherchera en vain des réponses aux questions que l’on imaginait posées : Sacha collabo, vichyste, vichyssois, vichyssien, résistant, résistantialiste, résistantatoire… ? Tout comme son héros, la pièce pratique l’art de l’esquive et botte en touche. En lieu et place de réponses, on se contentera de phrases et de saillies, d’une jolie conversation faite de mots d’auteur tous plus ouvragés les uns que les autres, mais qui ne tient en rien un propos.

La pièce est diablement intelligente. Ne pas s’engager, en dépit des apparences, sur le terrain glissant des amitiés politiques de Guitry, tout en affirmant (pour appâter le chaland ?) vouloir y réfléchir. Guitry est un homme de théâtre, la pièce sera du théâtre. Et puis tout est théâtre, et on va rejouer l’illusion comique, ou Pirandello, et même l’acte manquant de Faisons un rêve. Moâ, Sacha ! ou Guitry du Guitry du Guitry : il y a de la tentation mesguichienne qui flotte dans l’air, comme une envie de théâtre intello qui reste léger mais sait montrer qu’il a de l’esprit. Le texte, ainsi, est un copier-coller de citations du maître, mais il n’en est pas fait mystère, puisque un des acteurs, en scène, en fait le (faux) reproche à Barbier. Vous doutez des talents d’acteur de Barbier ? Lui et ses camarades aussi, et donc on en parle sur scène (« alors, je peux jouer, je joue bien ? et là ? »), ce qui est la meilleure façon de ne pas en parler, tandis que la catharsis finale devient l’apothéose de l’auteur-acteur. Un pastiche de Guitry, dans le style, et une parodie, dans le jeu : on imagine ainsi que c’est parce qu’elle joue du Guitry que Chloé Lambert est cantonnée à jouer les femmes coquettes et superficielles, langoureuses et sensuelles, et à passer la moitié de son temps derrière un paravent, à enlever et enfiler des tenues toutes plus ravissantes les unes que les autres, qui lui valent parfois les sifflets admiratifs des mâles de la salle (on n’est pas encore sorti.e.s des ronces et passé.e.s à metoo, Guitry oblige – mais encore une fois, on nous dit bien, dans la pièce, que ce monsieur est un phallocrate, donc si on en a conscience, que peut-on bien redire à cela ? (et puis en effet dans ce cas autant éviter tous les Guitry.)

La petite salle du Poche, d’ailleurs, n’avait rien d’un tribunal. La disposition de Kabarett  est gardée, et les spectateurs et spectatrices se glissent derrière des tables de bistrot, fesses contre fesses, cuisse sur cuisse voisine. Ça permet de faire connaissance, et le public est évidemment choisi, donc on risque peu de mauvaises rencontres « vous étiez délicieuse, chère compagne de table, et nous avons bu un vin blanc charmant (car on peut boire pendant). » On est au salon mondain, en bonne compagnie, le temps passe agréablement, et avec toutes ces cathédrales qui brûlent, ce n’est pas du luxe, ou plutôt c’est un luxe que l’on mérite. Tout cela devient délicieusement suranné. Pour le prix d’un billet de théâtre, c’est un « retour vers le futur » finalement anodin mais agréable, où on a envie de se glisser à nouveau, ou pour la première fois, (au chausse-pied) dans une robe de Madame Grès, ou de Jacques Fath, de se (re)mettre un peu de Joy de Patou derrière les oreilles, et de rire un peu, quand même.

 

© Pascal Gely
 

Moâ, Sacha ! d’après Sacha Guitry

Conception : Christophe Barbier

Assistant à la mise en scène : Arthur Crussels

Avec Christophe Barbier, Chloé Lambert et Pierre Val

 

Du 17 avril au 20 juillet 2019 à 21h

Mardi et mercredi

Relâches exceptionnelles les 24, 30 avril, 28 mai et 25 juin

 

Durée 1h20

 

Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse

75006 Paris

 

Réservation au 01 45 44 50 21

www.theatredepoche-montparnasse.com

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed