© Thomas Amouroux
f article de Denis Sanglard
Miss Knife nous avait fait la blague d’un premier adieu. La voilà qui revient, increvable, au Châtelet s’il vous plait, comme s’il lui fallait cet écrin pour fêter quarante ans et des poussières d’une carrière commencée au cirque, lanceuse de couteau (La nuit au cirque, d’Olivier Py, au Théâtre du Peuple de Bussang). Dans ce foyer du théâtre dirigé désormais par Olivier Py, son avatar, à moins que ce ne soit l’inverse, emperruquée de blondeur platine, corset rutilant de bijoux de pacotille, un petit air de Mae West matinée de Marie Marquet (pour qui a connu), quelque peu empâtée par le poids des ans, héritière des Damia et Suzie Solidor, chanteuses réalistes et consœurs, elle chante la goualante des amours cabossées, amours toxiques sans qui la chanson réaliste ne serait pas, du temps qui passe et vous rosse, d’une carrière en dents de scie, « déjà démodée avant même d’avoir commencée », autrement dit toujours d’actualité d’où le titre Miss Knife Forever. Paroles d’Olivier Py, dont elle fait en adresse le compliment – foin de modestie – et musique de Antoni Sykopoulos, également au piano et qui n’hésite pas à donner de la voix. Une écriture soignée, textes poignants, sujets à l’avenant et des mélodies comme autant de parures scintillantes et clinquantes pour ces petits bijoux de littérature, colliers de strass et de larmes, de coups et de bleus à l’âme pour une Miss Knife qui résiste à tout, aux amours passées, au coups tordus, aux années perdues et qui ne reviendront plus, à la mélancolie noire et tenace qui vous empoisse et empoisonne.
Miss Knife a bien vieillie se dit-on. Embourgeoisée même. Car où donc est passée notre divette écorchée, celle qui faisait de ses années de galère, de ses amours éphémères, un combat, un engagement, vent debout et tête haute contre le patriarcat, l’homophobie ordinaire, fatiguée de tout mais extra-lucide, leçon de vie et de théâtre – ce qui revient parfois au même -, chantant sur une crête fragile entre impudeur travestie et douleur accueillie comme une frangine pour ne pas sombrer dans le chagrin, cette faute de goût qui vous salope un maquillage. Où est passé l’esprit libre et libertaire d’un cabaret interlope et subversif dont il ne reste ici que le travestissement, oripeaux d’un art qui fut transgressif, « adultère du grand art », et qu’ici dans ce foyer on peine à retrouver ? Olivier Py ne raconte plus que des histoires, sublimant par son écriture ciselée les clichés d’usage avec le talent en sautoir, mais rien que des histoires où n’entrent plus le fracas du monde, la mémoire des combats, les générations fauchées dont elle fut le témoin écorchée. L’humour provocateur, l’humeur décapante, la phrase assassine ont laissé place à la blague et la satisfaction égocentrée d’être là, devant un public acquis, dans ce foyer d’une institution théâtrale qu’Olivier Py dirige désormais. Miss Knife n’aurait-elle plus rien à dire pour ne rien faire d’autre qu’un simple numéro de cabotine ?
Miss Knife Forever, conception d’Olivier Py
Chant : Olivier Py
Piano : Antoni Sykopoulos
Costumes : Pierre-André Weitz
Lumières : Bertrand Killy
Son : Dominique Cherprenet
Jusqu’au 12 novembre, à 20h
Théâtre du Châtelet
Place du Châtelet
1 place du Châtelet
75001 Paris
Réservation : www.chatelet.com
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