© Christophe Raynaud de Lage

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

C’est une création qui vous tenaille le cœur, vous embue les yeux, vous flanque un sacré coup à l’épigastre. C’est d’une beauté rude et sans apprêt qui vous happe, vous cisaille net et ne vous lâche plus une heure durant. Et bien au-delà. Misericordia, mère de cœur et cœur de misère. Dans cet appartement pourri, bouffé d’humidité, trois femmes ont élevé un enfant, Arturo, retardé et mutique. Mères le jour, prostituées la nuit, entre tricots et passes, Bettina, Nuzza et Anna bataillent ferme contre leur condition et la violence des hommes. C’est une résistance de tous les jours. Entre chamailleries et réconciliations, éclats de rire et cris d’orfraies, elles offrent dans ce foyer misérable un amour immense à cet enfant pas comme les autres. Mais Arturo a grandi, il doit partir dans un foyer… Il y aurait de quoi faire pleurer Margot dans les chaumières et pourtant ce qui traverse avec fulgurance le plateau c’est une bourrasque de joie, un immense cri d’amour et de compassion pour ces femmes, ces mères courage engluées dans la précarité et la violence de leur condition. Tout, absolument tout dans cette création vous bouscule et vous emporte sans coup férir. C’est un tourbillon d’émotions que chaque scènes, magnifiquement brossées et chorégraphiées, d’une désarmante, renversante et bouleversante simplicité. Juste, toujours juste, iméccablement juste. C’est d’une profonde humanité, voilà. Une querelle de jalousie, une fête improvisée, un sac poubelle renversé, une parade de bordel, un enfant qui s’endort, l’attente d’une fanfare… c’est beau, c’est drôle, c’est violent, c’est le cœur battant à la chamade d’une chienne de vie que ces trois femmes volontaires affrontent sans barguigner. Emma Dante fait de chaque scène un hymne à la joie et au courage sans rien occulter, jamais, d’une réalité sociale des plus éprouvante et sordide. Et puis il y a, au centre de tout, le langage. Grommelots burlesques, dialecte sicilien certes, mais la puissance, l’expressivité sans pareil des corps comme un langage en creux, en soi, la parole ici étant avant tout organique, tout venant des tripes, qu’on met au final sur la table, exposées sans fard. A ce titre, le danseur Simone Zambelli, Arturo, cet adolescent muet en état d’enfance, est tout simplement magistral et déchirant. Ce corps d’échassier blessé, d’une grâce gauche et fragile, qui toupille, tournicote sans fin, exprime là un maelstrom d’émotions pures qui le soulève et l’emporte, image d’un bonheur incommensurable, d’une innocence non flétrie. On est, oui, estomaqué par cette performance poignante et poétique qui évite avec raison tout pathétique grossier. Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco et Leonarda Saffi campent haut et magnifiquement ces femmes puissantes, elles sont les héritières, petites-filles sans nul doute de La Magnani, crânes et résolues devant le tragique de leur destin. Difficile en fait d’exprimer réellement, au plus juste, ce qui se passe sur le plateau, tant l’émotion qui vous foudroie une heure durant, osons le dire, touche à l’indicible et désarme jusqu’au langage pour l’exprimer au mieux et l’on se sent drôlement et soudainement impuissant devant le clavier de notre ordinateur. Mais s’il fallait résumer, c’est la Vie, avec un grand V donc, à travers le portrait de femmes exemplaires, et tant pis pour le cliché, qui a traversé puissamment le plateau théâtre des Bouffes du Nord. Et rien que ça, et de cette façon-là, et avec ces quatre-là, il faut s’y précipiter.

Misericordia, texte et mise en scène de Emma Dante

Lumière : Cristian Zucaro

Surtitrage : Franco Vena

Traduction en français pour le surtitrage : Juliane Regler

Avec Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco, Leonarda Saffi, Simone Zambelli

Du 23 au 30 novembre 2022

Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 16 h

Théâtre des Bouffes du Nord

37bis boulevard de La Chapelle

75010 Paris

Réservations : 01 46 07 34 50

www.bouffesdunord.com

Tournée :

17 /21 décembre 2022 : Théâtre les Tanneurs. Bruxelles

9/11 mars 2023 : La Manufacture. CDN Nancy Lorraine

14/17 mars 2023 : Théâtre Dijon Bougogne

18 mars 2023 : l’ARC. Creusot

27/29 mars 2023 : La Comédie de Valence

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