ƒƒ article de Marguerite Papazoglou
Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver — tout un programme. Nous accueillant comme on accueille des amis dans le studio de répétition, dans une simplicité toute conviviale, plateau vide et lumière dans la salle pour commencer, Sylvain Riéjou l’annonce d’amblée, il va raconter son histoire, celle d’un monsieur qui crée un spectacle et les turpitudes traversées pour y arriver. Le matériel chorégraphique sera, dit-il, la chanson de geste et la pantomime. Voyez Mesdames et Messieurs combien de questionnements, de détours, de pistes ratées et de temps perdu, de bifurcations, d’interruptions, de sautes d’humeurs, de gens de pouvoir, de vraies et fausses larmes, pour ces quelques minutes de danse sur un air de… chut ! on ne le dira pas ! Que de matériel produit et quelle cuisine ! L’artiste va nous dévoiler son for-intérieur.
Or le dialogue avec le « double » de l’artiste devient vite une mise en scène burlesque du rapport hiérarchisé entre chorégraphe et interprète. Le trait est certes un peu appuyé, le danseur un peu trop timoré et anxieux et le chorégraphe trop égocentrique, incompétent, autoritaire, irascible et pontifiant mais l’effet pédagogique (et comique) est atteint. On rit et pourtant on est exaspéré par les arrêts incessants, les humiliations et le non-sens. Le « chorégraphe » finira-t-il par vider la pièce de toute substance ? ne restera-t-il donc à la fin plus que des « gestes » ? des formes juxtaposées ? une simple relation d’autorité ? un mannequin avec des mimiques sans vie ? La question ne sera pas prononcée, mais elle est bel et bien induite : qu’est-ce donc qu’un chorégraphe ? et qu’est-ce donc que la danse ?
Comme annoncé, la pantomime sera bel et bien le contenu de la séquence dansée qui tente de se construire ; mais c’est aussi ce qui borde tout le jeu d’acteur qui forme en somme les neuf dixièmes restants de la pièce. Les gestes, les mimiques, l’exagération des attitudes et de l’expression sont des leviers pour passer à tout moment d’un personnage à un autre du récit, leviers d’un comique efficace et bien maîtrisé, prolongé par une belle installation vidéo qui fait apparaître et disparaître tous ces doubles en grandeur nature, pour jouer avec le vrai Sylvain Riéjou dans une synchronicité et une spatialisation subjuguantes. Petits et grands ne boudent pas leur plaisir.
La chanson de geste ! quelle idée (géniale) tout de même… ! C’est que la pantomime, art d’un corps expressif, art du geste et de la grâce, jouxte et empiète sur la danse dans toute l’histoire de l’art de Terpsichore tout en étant devenue aujourd’hui un parent pauvre et même méprisé ; l’occasion de s’y pencher et de lui redonner sa dorure de sans-culotte ! D’un même geste, veuillez alléger la pose et décrisper la mâchoire, gardiens de la danse contemporaine ! Quitte à enfoncer quelques portes ouvertes comme par exemple le fait que le corps du danseur ne soit pas réductible à une machine comme pourrait le suggérer le terme d’ « interprète », que la danse ne se doive pas d’être muette et le visage neutre, que la voix et les expressions touchassent au plus intime du corps et que la parole puisse être chorégraphique, qu’un même geste répété ne soit jamais le même et que la répétition soit une gageure à laquelle se confronte chaque danseur. D’un même geste, Sylvain Riéjou, oui, jouera à fond le pitre, dansera des réminiscences grotesques de chorégraphes tyranniques, jonglera avec les grimaces avant de décréter que le problème c’est la tête et qu’il faut donc la cacher, se démultipliant jusqu’à perdre tout sérieux, surenchérissant sur les « clichés » de l’émotion par ceux de la musique et de la chorégraphie. Cette course effrénée pourrait être jubilatoire s’il était laissé libre cours à une espèce de grâce qui semble jaillir, innée, et une soif inextinguible de ruptures qui affleure. Mais l’autre cliché celui du dialogue de la castration reprend toujours. C’est comme si la pièce restait un peu en suspens, ambiguë quant à son intention profonde. Cependant c’est une pièce qui réussit le pari de la section jeune public Playground du festival des Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis : plonger le jeune public, ici « dès 8 ans », dans les questions de l’écriture chorégraphique.
Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver réussi à marier sur un rythme enlevé la drôlerie et l’aspect autoréflexif sur les coulisses de la conception puis de la performance de la pièce, sur la dramaturgie, sur la fabrique de l’illusion théâtrale et sur des questions esthétiques — même si le mari est un peu lourd et la mariée un peu clichée…
Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver de Sylvain Riéjou
Chorégraphie, vidéo, lumières, interprétation : Sylvain Riéjou
Spatialisation sonore : Jérôme Tuncer
Coach chorégraphique : Tatiana Julien
Regards extérieurs : Stéphanie Briatte, Laure Hamidi, Lucas Morlot
Les 22 et 23 novembre 2022
Durée 55 minutes
Théâtre municipal des Malassis – Bagnolet
3 Rue Julian Grimau
93170 Bagnolet
Réservation au 01 55 82 08 01 / reservations@rencontreschoregraphiques.com
www.rencontreschoregraphiques.com
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