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Mère, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad, Théâtre de la Colline

Mai 16, 2023 | Commentaires fermés sur Mère, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad, Théâtre de la Colline

 

© Tuong-Vi Nguyen

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

L’action de Mère se déroule à Paris entre 1978 et 1983, dans l’appartement du XVe arrondissement où Mme Mouawad et ses trois enfants se sont réfugiés au déclenchement de la guerre du Liban. Bienheureux ceux qui peuvent mourir chez eux disait-elle alors ; elle mourra quelques années plus tard à 57 ans dans l’hiver canadien, leur lieu d’exil après Paris, par – 40 °C , loin de ses figuiers libanais gorgés de soleil.

Pendant les cinq années parisiennes, le petit Wajdi, joué par Dany Arditi, chasse les démons, comme un voltigeur il s’imagine en Goldorak, chevalier de l’âge du fer et s’évade grâce à un « bouquet de fleurs », reproduction du vase bleu de Cézanne. Au cœur de l’exil, cette porte de sortie par l’art, loin de la guerre et d’une mère ravagée par la souffrance décidera de sa vocation artistique dédiée au théâtre et à l’écriture. Écrire c’est vivre au présent, jouer avec le passé comme une pâte à modeler. Comment expliquer que les joies les plus intenses de la vie résultent des traumatismes, de la guerre et de la mort de sa mère qui l’ont construit, un homme et un artiste. L’auteur répond à cette question par une étude remarquable sur la mémoire, loin de tout narcissisme. La lanterne magique du metteur en scène est cet appartement du XVe arrondissement où se projettent les plis de l’histoire, grande ou petite. Les souvenirs se chevauchent comme des rêves et arrivent par vague, l’ail et les pois chiches du houmous, les sonneries du téléphone, le massacre de Sabra et Chatila, Pierre Bachelet et ses corons, le merveilleux générique télé de l’époque avec les petits personnages de Jean Michel Folon – c’était si beau d’entendre cette musique qui nous transportait au ciel avec les anges – ça gueule et ça crie sur le plateau tandis qu’Adamo miaule « tombe la neige ».  Sur l’écran presque nu des souvenirs Wajdi Mouawad est présent. Comme Tadeusz Kantor il déplace quelques meubles, regarde ses comédiens avec douceur, feuillette en silence l’album de famille à ciel ouvert sans intervenir sur le cours de l’histoire, humblement.

Au théâtre tout est permis et Wajdi Mouawad, l’homme de 57 ans, organise une confrontation avec sa mère pour lui révéler sa vérité, l’homme qu’il est devenu. Il la redessine, le visage étrangement doux, tendre, presque fragile telle qu’elle n’a jamais été à Paris dans la fiction qu’il nous présente, pour continuer à la faire vivre en lui, espérant des paroles qu’il ne lui aurait pas écrite. Un ange passe à ce moment-là sur la Colline. Aïda Sabra, comédienne libanaise exilée à Montréal est sa mater dolorosa vociférante à la puissance comique des grandes tragédiennes. Elle forme un duo d’anthologie avec sa compatriote   Odette Maalouf dans le rôle de la sœur. Christine Ockrent est royale dans son propre rôle.

Ça patine un peu à la fin, avec des fausses sorties à la libanaise, le plateau couvert de taboulé, houmous, caviar d’aubergine, tartare de viande crue, boulghour, cheese cake oriental et mezze dont les effluves se répandent dans la salle car là-bas tout est partage. Comme si Wajdi Mouawad ne pouvait se résoudre à quitter sa langue, l’arabo syrien du Liban dru, raide, lyrique dans les aigus. Vous en reprendrez bien une bouchée pour la route ? Et le public debout applaudit dans une salle pleine à craquer.

Plus profond que l’océan, l’amour des mères. Leurs fantômes hantent parfois nos nuits, ils voudraient « rentrer à la maison », impossible de leur dire qu’ils ne le peuvent pas puisque qu’elles sont mortes et leurs maisons vendues ou détruites. L’éphémère du théâtre rejoint ici le paysage émotif propre à chaque spectateur, que faisons-nous des pleurs de nos mères ? « Ce n’est rien, (…) le temps passe, ce n’est rien, elles s’en vont comme des bateaux et soudain ça revient ».

Le Liban est toujours en guerre, le théâtre ne peut rien contre ça.

 

© Tuong-Vi Nguyen

 

Mère, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad

Scénographie : Emmanuel Clolus

Lumières : Éric Champoux

Costumes : Emmanuelle Thomas

Musique : Bertrand Cantat et Bernard Valléry

 

Avec : Odette Maklouf, Wajdi Mouawad, Christine Ockrent, Aïda Sabra et en alternance Dany Aridi, Élie Bou Saba, Loucas Ibrahim

Du 10 mai au 04 juin, du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h 30

Durée : 2h10

 

Théâtre de la Colline

15 rue Malte Brun, Paris 20°

Réservation : 01 44 62 52 52

billeterie.colline.fr

 

Mère est paru aux éditions Actes Sud Leméac dans une édition augmentée et illustrée de dessins de l’auteur

 

 

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