Critique de Bruno Deslot –
La première édition du Festival des écoles du théâtre public a débuté hier soir avec deux propositions (Memorandum pour Anna Politkovskaïa et Les Helvètes !) de grande qualité. François Rancillac, directeur du Théâtre de l’Aquarium a ouvert le bal par un discours qui, avec beaucoup d’habileté, a rappelé la nécessité pour la création théâtrale, de maintenir un service public dynamique et porteur de projets et plus que jamais depuis ces dernières années où les budgets pour les structures culturelles sont réduits à peau de chagrin et c’est fort regrettable car cette première édition du Festival, bien que pas du tout représentative de l’ensemble des jeunes comédiens démarrant dans la profession, présente des productions tout particulièrement talentueuses. Les élèves, de l’Académie de Limoges dirigée par Pierre Pradinas, ont mis le feu à la rampe avec un Memorandum mémorable !
Une femme non rééducable
Connue pour son opposition à la politique de Vladimir Poutine, sa couverture du conflit tchétchène et ses critiques virulentes envers les autorités actuelles de la république caucasienne, Anna Politkoskaïa est « non rééducable » selon l’expression consacrée et les élèves de l’Académie de Limoges lui donnent une parole plurielle faisant écho à toutes ses années de combat. Sous la direction d’Anton Kouznetsov (dont la mise en scène des âmes mortes en ce moment à la MC93 est époustouflante) neuf élèves comédiens investissent le plateau avec force et conviction. L’enjeu est de taille, débuter la première édition d’un Festival devant une salle comble et interpréter un texte fort dans une mise en scène exigeante et de haute volée. Malgré un peu de timidité et un ensemble assez scolaire, les élèves brûlent les planches avec une belle énergie et un esprit du collectif indéniable.
Ce travail a débuté en fin de deuxième année, suite à une proposition d’Anton Kouznetsov présentant le texte du Memorandum que les élèves ont eu la charge de mettre en espace. Les mois s’enchaînent et les élèves travaillent ensemble sur ce projet ambitieux. Le groupe fusionne dans un même et seul engagement, celui de la scène et le pari est gagné, après plus d’1h passée en leur compagnie, le public est comblé par une jeunesse pleine de talent. Il faut avouer que la mise en scène y est pour beaucoup.
Neuf chaises alignées à jardin et formant une phalange prête à résister contre la barbarie dont Anna Politkoskaïa se fait le porte-parole, donne le ton à la proposition : celle de « défendre cette vérité (celle d’Anna), et transmettre cette parole pour laquelle elle a donné sa vie ». Assis sur les chaises, une valise de fortune à leur côté, les comédiens débutent le récit du drame sur un plateau dépouillé, un espace occupé par la voix et le corps des interprètes qui, dans un travail choral, rendent hommage à la journaliste. Les voix féminines restituent les propos d’Anna à la manière d’un chœur à l’antique pendant que les voix masculines interviennent par fulgurance afin de rappeler l’omniprésence des troupes armées russes. Les voix et les corps se croisent, se rencontrent, s’affrontent, s’effondrent… au rythme suffoquant d’une marche solennelle pour la liberté. Les valises, seul élément de décor, empilées les unes sur les autres dessinent les zones géographiques d’une Russie en proie à un malaise, celui du peuple tchétchène, ou bien le mur contre lequel les condamnés seront exécutés. Servant d’oreiller, lorsque les comédiens allongés sur le sol et recouvert d’un drap blanc incarnent les malades de l’hôpital qu’Anna visite, les valises participent à une mise en scène exceptionnelle montrant qu’avec peu de choses on peut faire beaucoup. Les lumières dessinent les différents espaces que les comédiens parcourent avec une élégance et une précision déconcertantes. C’est un grand et beau travail que présentent les jeunes comédiens de l’Académie de Limoges qui ont eu la chance de travailler avec Anton Kouznetsov, une rencontre d’exception dont ils se souviendront pendant longtemps, du moins souhaitons leur.
Memorandum pour Anna Politkovskaïa
(Une femme non rééducable)
De : Stéfano Massini
Traduction : Pietro Pizzuti (Editions l’Arche)
Mise en scène : Anton Kouznetsov
Son : Jean-Pascal Lamand
Lumière : Gérard Gillot
Avec : les élèves de l’Académie de Limoges, Yannis Bougeard, Denis Boyer, Amélie Esbelin, Laure-Hélène Favennec, Aurore James, Samuel Martin, Mathilde Monjanel, Aurélie Ruby et Thomas VisonneauDu 24 au 27 juin 2010
Dans le cadre du Festival des Écoles du théâtre publicThéâtre de l’Aquarium
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris
www.theatredelaquarium.net