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Médée, texte de Sénèque, mise en scène de Tommy Milliot, La Villette

Mar 28, 2022 | Commentaires fermés sur Médée, texte de Sénèque, mise en scène de Tommy Milliot, La Villette

 

© Pierre Gondard

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Médée femme puissante et transgressive. Médée décidant de son destin, défiant les dieux, se vengeant des hommes et commettant l’irréparable, l’infanticide. La Médée de Sénèque, de la douleur à la fureur, c’est la naissance du monstre et la conscience préméditée, affirmée d’un acte monstrueux, acte de destruction et de réappropriation d’une identité ; la barbare, l’étrangère redevient la colchidienne, la magicienne. Acte de vengeance et de passion et naissance d’un mythe.

C’est une mise en scène épurée et sous tension continue où de la scénographie aux lumières, au son, tout participe au drame et à sa résolution. Thomas Milliot dissèque jusqu’à l’os la préméditation d’un acte irréversible et annoncé dès l’ouverture de cette tragédie. Et c’est bien à cette détermination implacable à laquelle nous assistons. Sur ce plateau vide qu’entourent de hauts-murs, Thomas Milliot isole Médée. Entre elle et Créon, entre elle et Jason, nul rapprochement mais une distance concrète, Médée apparaît comme déjà seule, en retrait des hommes, écartée par eux qui jamais ne l’approchent. Déjà dès le prologue, Médée apparaît en contre-jour, dans l’étroite ouverture qui donne accès au plateau, sans y pénétrer. Elle est déjà au-delà. Le seul contact physique est pour ses enfants, jusqu’à leur égorgement que Thomas Milliot n’escamote pas. C’est frontal et direct. Mais rien qui étonne sinon une étrange fascination pour un acte innommable et tabou mais attendu, annoncé. Ce qui relie encore Médée aux hommes et de nouveaux aux dieux c’est cette parole hors-norme. Et c’est à cela que s’attache Thomas Milliot.

La force de cette mise en scène, et sa beauté quelque peu hiératique et concentrée, tient dans la mise en espace d’une langue et de sa poésie. Soulignons ici la très belle traduction de Florence Dupont. Combien cette parole est un acte en soi, est performative. La parole de Médée, de l’incantation à la menace, de la douleur à la fureur, donne à cette mise en scène son impulsion première, originale. Pourtant nul éclat de voix, nulle hystérie, nulle folie, juste ça, cette profondeur absolue donnée à la parole en ce qu’elle signifie, provoque et acte. Une parole spectaculaire, musicale même, que l’austérité, le dépouillement, la sécheresse abrasive de la mise en scène exhausse, amplifie. C’est bien elle qui est mise en scène, traversant les corps à qui elle donne une impulsion vitale, bientôt sauvage, modelant l’espace qu’elle transforme et métamorphose. Thomas Milliot accorde la scénographie à l’énoncé du drame à venir. Une scénographie qui dialogue avec les arcanes profonds du discours. Une nappe sonore, partition musicale prégnante qui loin de la redondance, recompose le récit, l’anticipe même, illustration en creux de la fable. Comme la lumière changeante épousant les fulgurances de la pensée de Médée. Cette scénographie, c’est un espace mental en écho à la parole proférée et qui lui donne une vibration tragique singulière, son intensité.

Benedicte Cerutti, Médée, impressionne qui évite l’écueil de l’emportement tragique, de sa violence théâtrale. Cette Médée là est dans la détermination et la froideur d’un acte prémédité. Et c’est cela qui fascine, cette monstruosité qui advient sans éclat ou si peu et qui glace. C’est dans l’appréhension de la parole poétique, dans le verbe imprécatoire qui condamne et l’imprécation de la magicienne que Benedicte Cerutti donne corps et âme à Médée, dans cette confiance absolue à ce qui est énoncé. La puissance de son incarnation, c’est semble-t-il par le verbe et ce qu’il contient de force poétique qu’elle l’obtient sans chercher jamais l’effet et le spectaculaire. Le verbe seul suffit pour incarner et agir. Car la force destructrice de Médée est tout entière et avant tout contenue dans sa parole qui opère la métamorphose et accouche d’un monstre.

 

© Pierre Gondard

 

Médée, texte de Sénèque

Traduction de Florence Dupont

Mise en scène de Tommy Milliot

Dramaturgie et voix Sarah Cillaire

Lumières Sarah Marcotte

Sons Adrien Kanter

Assistant mise en scène Mattieu Heydon

Avec Benedicte Cerutti, Charlotte Clamens, Cyril Gueï, Miglen Mirtchev, et un binôme d’enfant en alternance

Régie générale Mickaël Marchadie

Régie son Aurélie Granier

Assistant stagiaire dramaturgie TNS Alexandre Ben Mrad

 

 

Du 25 au 28 mars 2022

Vendredi et lundi à 20 h 30, Samedi 19 h, Dimanche 15 h

 

 

 

Grande Halle de la Villette

211 avenue Jean-Jaurès

75019 Paris

Réservation 01 44 03 75 75

www.lavillette.com

 

 

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