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Medea, nô en français de Maxime Pierre et Richard Emmert, au Musée Guimet

Nov 18, 2024 | Commentaires fermés sur Medea, nô en français de Maxime Pierre et Richard Emmert, au Musée Guimet

© Lycan Productions

ff article de Denis Sanglard

Entreprise hardie et pari réussi pour Maxime Pierre qui dans « un exercice de l’ailleurs » tel que le préconisait Antoine Vitez, ose monter un nô, dans la plus pure tradition, adaptant pour ce faire la Médée de Sénèque, avec cette singularité de jouer cette création avec des acteurs japonais et européens, en français, en respectant cependant la scansion particulière, le souffle singulier et le cérémonial traditionnel du nô.

Maxime Pierre, éminent helléniste, souligne combien le nô résonne avec la tragédie grecque dans son appréhension du monde, son exploration des thèmes universels, particulièrement dans la relation entre l’humain et le divin. Si la forme diffère, c’est pour chacun une cérémonie où le tragique et le comique sont étroitement liés, un art total tant visuel que musical qui utilisent le chant, la danse et le masque. Médée, ici, n’est pas sans rapport avec deux pièces de nô, Dôjoji et Kanawa. Une même trame, celle d’une femme qui, délaissée par son amant, se venge et se métamorphose en démon.

A l’initiative de Maxime Pierre donc, trois compagnies ont ainsi œuvré de consert dans la volonté de faire découvrir le nô et ses techniques au plus grand nombre. La compagnie Sangaku, le Théâtre Nohgaku et la Compagnie Les deux Spirales. Aucune innovation quant à la forme, un respect de la tradition mais une révolution quand même, la participation de femmes, ce qui reste exceptionnel dans un art traditionnellement exclusivement masculin. Deux musiciennes, tambour de hanches (ôtsuzumi) et flûte (nôkan), un chœur mixte (ji-utai), quasi paritaire, pour narrateur omniscient et parmi les acteurs, Karen Twidle en suivante de Médée, rôle dit tsure (adjuvant), masquée.

Masato Matsuura est Médée, le shite où rôle principal. Uchi Deshi (disciple direct) auprès du maître Tetsunojô Kanze VIII, sa maîtrise du mouvement est impressionnante qui prend toute son ampleur dans la scène de la furie de Médée et du meurtre des enfants, représentés ici par deux petits kimonos. Une parfaite diction du français (Masato Matsuura est installé à Paris depuis 2006 où il enseigne le nô et les arts martiaux) ajoute à la compréhension de cette singulière modulation vocale. Tragédie dansée, c’est toujours d’une grande épure ; gestes stylisés des katas, demeurant toujours obscurs – mais qu’importe – , hiératique mais toute de vibrations intimes, une fixité vite hypnotique, une tension extrême et tenue qui anticipe le tragique et sa résolution, la fureur de Médée. De Medea fiam (je deviendrai Médée) à Medea nunc sum (je suis Médée) c’est ce parcours qu’illustre Masato Matsuura avec une économie de moyen radicale et une forte expressivité . Dans une concentration absolue qui très vite gagne le public où l’on ne perd rien de ce qui sur le plateau, entre ces quatre piliers traditionnels, se joue. Le masque lui-même semble soudain exprimer ce qui agite le shité en profondeur, où le corps se plie aux soubresauts de ses tourments. Benoît de Spoelberch incarne, sans masque, Jason. Rôle du waki, ou antagoniste, sa prestation face à Masato Matsuura, fait preuve d’une parfaite maîtrise des codes et des contraintes du nô et passée la surprise de voir un européen à cette place précise, rien n’achoppe, au contraire. Car la réussite de cet initiative tient sans doute à cette cohésion sur le plateau où il n’y a pas imitation mais bien compréhension et assimilation d’un art aussi complexe que sophistiqué. Maxime Pierre et son équipe, au premier chef Richard Emmert et Masato Matsuura, ouvrent ainsi une brèche dans l’apprentissage et la transmission du nô et permettent à chacun d’appréhender un peu de son mystère.

 

© Lycan Productions

Médéa, nô en français de Maxime Pierre et Richard Emmert

Texte et direction artistique : Maxime Pierre

Musique et direction chorale : Richard Emmert

Danse et direction chorégraphique : Masato Matsuura

Supervision scénique : Lluis Valls

Accessoires : Marine Donadoni

Musiciens : Kayu Omura, Eitaro Okura, Yuka Toyoshima, Katzuha Nakata

Acteurs : Masato Matsuura, Karen Twidle, Benoit de Spoelberch, Ito Yamachi

Chœur : Richard Emmert, Khadija El Mahdi, Thomas Legendre, Paul Ngo Si Xuyen, Laura Sampson, Ashley Thorpe, Manon Villanneau

 

Vu le 14 novembre 2025 au Musée Guimet /Paris

 

Tournée :

18 novembre 2024, Théâtre du Bouillon / Orléans

20 novembre 2024 ? Théâtre des Capucins / Luxembourg

 

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