© Gabi-Pérez
ƒƒ article de Hoël Le Corre
Au centre de la magnifique scène dénudée des Bouffes du Nord apparaît une silhouette, grande, aux cheveux en bataille. Éclairée par ce qui semble n’être qu’une simple lampe de poche, l’ombre de cette chevelure sauvage se projette sur un immense parchemin, seul élément de décor. C’est ainsi que commence Médéa Mountains, dans la pénombre. Et on se retrouve envoûtés dès les premières secondes par la voix aussi émouvante que sensuelle d’Alima Hamel.
Connue pour son chant, c’est ainsi en alternant, avec subtilité et presque sans qu’on s’en aperçoive, voix chantée et parlée, qu’Alima Hamel ouvre le spectacle. Les chants égraineront le récit autobiographique puissant de la comédienne.
Les choses sont posées dès le début : dans cette histoire, dans son histoire personnelle, Alima, sans H (pour faire plus « français » après le départ de sa famille d’Algérie pour s’installer à Nantes), a perdu une sœur : « morte de mort violente ».
Et pendant une heure, Alima Hamel remonte le temps : de ses 11 à ses 44 ans, en passant par ses 22 ans. Elle raconte son enfance auprès de ses quatre grandes sœurs, déambulant dans leur quartier de Nantes. Elle raconte les coups de son père, réservés à ses sœurs, et elle, épargnée, parce qu’elle est « la préférée ». Elle raconte ses après-midi à la MJC, plongée dans les livres. Elle raconte les étés passés à Médéa, dans les montagnes, sous le soleil brûlant de l’Algérie. Elle raconte ses sœurs, qui tour à tour ne rentrent plus en France et restent « au pays » : leur soumission, leur révolte, leurs lettres par-delà la Méditeranée, et la distance qui s’installe avec elle, restée en France.
Et puis, nous sommes dans les années 1990, et l’Algérie se retrouve dans la tourmente des années noires, années de guerre civile, qui n’épargnent personne… Combien de temps avant de retourner sur les lieux des crimes ? Combien de temps avant d’oser affronter la réalité de l’horreur ?
Sans jamais tomber dans le pathos ni la recherche de coupables, Alima Hamel préfère nous embarquer tout en retenue. Si le ton peut ainsi sembler quelque peu psalmodique parfois, cette pudeur a le mérite de nous captiver. Il est intéressant de noter qu’on connaît Aurélien Bory surtout pour son travail très visuel sur le corps, auprès de danseurs et circassiens. Ici, il s’attaque à mettre en scène une parole, et si on peut être tenté de regretter l’absence de corporalité dans Médéa Mountains, cette approche délicate et en intériorité contrebalance ce manque qui pourrait pointer. Allié à une scénographie oscillant entre la cartographie et la métaphore, le récit prend forme sous nos yeux et se glisse dans nos oreilles jusqu’à notre cœur. Méadéa Mountains nous propose un beau et émouvant voyage, que son hôtesse agrémente de mélodies saisissantes.
© Gabi-Pérez
Médéa Mountains, conception, textes, interprétation Alima Hamel
Scénographie, mise en scène Aurélien Bory
Dramaturgie, collaboration artistique Charlotte Farcet
Composition musicale et sonore Adrien Maury
Création lumière Arno Veyrat
Création costumes Manuela Agnesini
Du 6 au 21 mars 2020
Du mardi au samedi à 20 h 30
Matinées les dimanches à 16 h
Durée 1 h
Théâtre des Bouffes du Nord
37 (bis), bd de La Chapelle
75010 Paris
www.bouffesdunord.com
Billetterie
Billetterie 01 46 07 34 50
E-mail : locationbouffesdunord.com
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