© Pieter Dumoulin
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Il y a des créations énigmatiques et austères qui font crânement preuve d’audace bluffante et sans concession au risque de l’incompréhension. Matisklo est une étrange et fascinante expérience. Il faut se laisser happer par cette mise en scène, s’abandonner aux sensations pures et contradictoires qu’elles génèrent, de l’agacement à la soumission volontaire. Pas facile. Bosse Provoost devant l’impossibilité à représenter sinon à incarner la langue hermétique du poète Paul Celan, poète juif et roumain, une œuvre traversée par la Shoah, n’accuse aucunement l’échec d’une tentative mais se détourne sciemment de la représentation classique. À Paul Celan et sa contre-parole*, réponse ultime au silence de l’Histoire et mise en accusation de la culture allemande dont la Shoah était l’aboutissement, langue de la résistance et de la résilience, Bosse Provoost propose une vision théâtrale tout aussi radicale. Devant une poésie fait de fragments, d’éclats, de monosyllabe, de silence, de disparition, traversée par la mort, Bosse Provost ne cherche aucunement à incarner mais habilement met en scène l’échec de cette incarnation résolument impossible. L’impuissance du comédien devant cette poésie, véritable astre noir qui résiste à toute interprétation. C’est donc la scénographie qui portera les questions posées par cette poésie fragile et insaisissable, la scénographie comme un vaste imagier où l’acteur même, libéré de la parole, participe de ce processus, n’en n’est plus le centre mais un des éléments, une partie de l’environnement. Technique, matière, mouvement, lumière, son, espace, comédien forment un tout, un environnement global, un écosystème chargé de sens et de correspondances ténues, traversé de silence. Une stylisation extrême, austère. Quelques hauts futs et devant ces cheminées de crématoires l’aphasie d’un comédien désarticulé… Voilà pour « Renverse du souffle », évocation de la Shoah. D’autres images surgiront, énigmatiques, symboliques. Les comédiens parfois s’emparent du texte, de ces fragments tentent une traversée, s’y reprennent, têtus, à plusieurs fois avant de renoncer. Ce n’est pas tant le texte que cherche à illustrer Bosse Provoost que sa représentation mentale, ce que la poésie projette au-delà du signe, loin de tout formalisme ou naturalisme. Trouver la part obscure voire inconsciente de Paul Celan. Bosse Provoost, à sa façon, est un surréaliste. C’est à la fois d’une grande austérité, exigeant et sans complaisance, d’une grande pureté.
« La contre-parole* est la parole poétique de celui qui, ayant à écrire dans la langue de ceux qui ont assassiné ses parents et son peuple, doit se réapproprier cette langue sous le double signe de son intégrité poétique reconquise et d’une identité juive réaffirmée. » John E. Jackson
© Pieter Dumoulin
Matisklo, texte de Paul Celan
Conception et mise en scène Bosse Provoost
Traduction Jean-Pierre Lefebvre, Jean-Claude Crespy & Philippe Noble
Collaboration à la mise en scène Ezra Velfhuis et Geert Belpaeme
Avec Benjamin Colls et Joeri Happel
Dramaturgie Geert Belpaeme
Scénographie et lumières Ezra Veldhuis
Son Benjamin Cools
Costumes Max Peiron
Régisseuse Bastille Véronique Bosi
Du 15 au 18 octobre 2019 à 20 h 30
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Réservations 01 43 57 42 14
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