© Agathe Pommerat
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
César doit mourir, Marius doit partir, rien de commun entre le film des frères Taviani, tourné en prison et la pièce de Joël Pommerat, créée en centre de détention, exceptée leur origine carcérale. Est-ce cela qui insuffle aux comédiens ce souffle incandescent, cette ardeur viscérale de jeu ? Dans le film, les acteurs bougeaient trop, parlaient fort et roulaient des yeux comme on n’ose plus le faire. Mais il y avait dans cet excès une urgence à dire et à se raconter qui transcendait tout. Aujourd’hui plusieurs comédiens de Marius reprennent leur rôle hors de la prison, offrant une intensité tragique à l’œuvre de Pagnol par l’âpreté de leur présence à l’unisson de toute l’équipe.
Exit les cigales et le folklore marseillais, les galéjades insipides, les coupes à cœur, trèfle ou carreau dont on se fout, Joël Pommerat, loin de nous refaire la Provence « avé l’assent », tire Pagnol vers un théâtre intérieur et ténébreux, centré sur la question de la liberté, qui n’exclut pas les vacheries balancées cul sec entre voisins de quartier. Un père protecteur et clanique peut étouffer autant que les barreaux d’une cellule.
Fanny, n’est plus marchande de coquillages mais coiffeuse et aime toujours Marius, fils de César, patron d’une boulangerie familiale. Mais Marius a une passion dévorante, la mer. Va-t-il répondre à l’appel du large, faire souffrir père et promise ? Que les puristes se rassurent, l’accent marseillais est là, sans excès, et la fameuse partie de cartes, très attendue, est particulièrement réussie dans sa tension sourde.
Le fil serré de l’histoire modernisée se poursuit fiça, sans mièvrerie, dans le décor vintage d’une boulangerie à mi-chemin entre la France d’aujourd’hui et le Marseille des années 1970. Des habitués s’y croisent, mangent, boivent, passent le temps, et tentent de célébrer la vie malgré tout. On se querelle, on se traite de noms d’oiseaux, de nouveaux problèmes viennent aviver de vieilles rancœurs et les voisins finissent par régler leur compte dans un jeu de vérité qui met tout le monde au pied du mur. La comédie vire au drame dans un Grand-8 émotionnel.
Michel Galera campe un Marius emmuré dans ses non-dit, Jean Ruimi nous tord les tripes en père sacrificiel et castrateur, qui donnerait tout pour son rejeton excepté l’essentiel. Sa leçon sur l’approche client est particulièrement savoureuse. Ange Melenyk prête sa voix rauque à Escartefigue, raide comme la justice en agent du destin inflexible. Bernard Traversa a l’abattage d’un Panisse hâbleur, dominateur, complétement obnubilé par la réussite sociale face à un Redwane Rajel, Piquoiseau, aussi exotique que ses volatiles. Mais celle qui nous fend littéralement le cœur c’est Fanny, Elise Douyère, qui reste à quai par amour. Pour les femmes de cette classe sociale la liberté est encore loin. Fanny le sait et sa souffrance n’en est que plus tragique.
« Depuis que j’ai connu l’art, cette cellule est devenue une prison », disait un des taulards du film des Taviani. « Dès que l’on commençait à jouer, on était ailleurs » murmure en écho Jean Ruimi. Marius nous ramène aux fondamentaux du théâtre et au désarroi de notre condition entre trahison, amitié, amour, solitude et désespoir aussi tranchant qu’une lame. Le théâtre ne changera jamais le monde mais peut, l’espace d’un instant, nous aider à le comprendre et à faire entendre notre voix.
© Agathe Pommerat
Marius, une création théâtrale de Joël Pommerat, librement inspirée de la pièce de Marcel Pagnol, dans le cadre du Festival d’Automne
Mise en scène : Joël Pommerat en collaboration avec Caroline Guiela Nguyen et Jean Ruimi
Scénographie et lumières : Éric Soyer
Costumes : Isabelle Deffin
Création sonore : Philippe Perrin, François Leymarie
Avec : Damien Baudry, Élise Douyère, Michel Galera, Ange Melenyk, Redwane Rajel, Jean Ruimi, Bernard Traversa, Ludovic Velon
Durée du spectacle : 1h15
Jusqu’au 6 décembre à 20h, samedi 7 décembre à 18h, dimanche 8 décembre à 16h
MC93 Bobigny
9 boulevard Lénine
93000 Bobigny
Réservation : 01 41 60 72 72
Tournée :
Du 12 au 14/12/2024 la Merise (Trappes)
Du 18 au 19/12/2024 à la Ferme du Buisson (Noisiel)
Du 7 au 11/01/2025 au Théâtre du Gymnase (Marseille)
Du 29 au 31/01/2025 au Théâtre de l’Union (Limoges)
Du 04 au 05/03/2025 au Cratère (Alès)
Du 12 au 21/03/2025 à La Comédie de Genève (Suisse)
Du 02 au 03/04/2025 au Parvis (Tarbes)
Du 23/04 au 03/05/2025 au TNS (Strasbourg)
Du 06 au 07/05/2025 à la Scène Nationale Grand Narbonne (Narbonne)
Du 20 au 22 mai 2025 au Bateau Feu (Dunkerque)
Du 10 au 11 juin 2025 à l’Avant Scéne (Colombes)
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