© Yoshiyuki MAEJIMA
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Une soirée et une création étonnante à plus d’un titre, pour une unique représentation parisienne. La création d’un nô contemporain au sujet singulier : Marie-Antoinette. Où le comte Fersen revenu au palais de la reine défunte, ému par le parfum des roses qu’elle aimait, se souvient. Et surgit l’esprit de Marie-Antoinette… Écrit par le scénariste et metteur en scène Shin Ueda, co-mis en scène et composition des chants par Minoru IV Umewaka, trésor national vivant et membre de l’Académie Japonaise des Arts. La chorégraphie du Kyogen, qui accompagne traditionnellement le nô, réalisée par le Maître Kanjûro Fujima, huitième héritier de l’école prestigieuse Fujima. Composition classique qui reste dans la grande tradition du nô à vrai dire, étonnante cependant par son sujet inspiré d’une figure de l’histoire de France et de sa liaison supposée avec le compte de Fersen. De même l’intermède comique, le Kyogen donc, confié à une actrice de la revue Takarazuka, compagnie de théâtre exclusivement féminine, véritable institution au japon. Intermède poétique plus que comique sur le thème des fleurs. Mais était-ce la configuration du lieu, l’Opéra-Comique, et l’impossibilité de monter la scène traditionnelle, le quadrilatère de bois et les trois piliers, le hashigakari, cette passerelle étroite dit des fleurs qui permet l’entrée des acteurs, ou bien une volonté scénographique ? L’espace scénique fut celui de la scène occidentale, la boîte noire. D’où une légère sensation de flottement dans les déplacements d’ordinaire si précis dans l’espace. Et l’impression d’une mise à plat d’un art autrement plus en relief sur la scène traditionnelle.
La surprise vint de Minoru IV Umewaka, le shite, le rôle-titre. Grand acteur aujourd’hui partiellement paralysé. Déplacement difficile et surtout limité, à l’aide d’une lourde canne. Passé la première minute de stupéfaction et d’inquiétude devant ce qui nous paraît soudain insurmontable, quelque chose advint d’absolument stupéfiant qui fut une leçon magistrale et sans doute une des clefs de cet art. Ce qu’il ne peut plus faire, ou si peu, est compensé par un art de la présence absolue qui vous souffle. Ce corps empêché et si fragile qu’on se surprend à le vouloir accompagner, le soutenir même, les moindres mouvements désormais esquissés, portent en eux la mémoire vive d’un art porté à son sommet. Et c’est cette mémoire vivante et inscrite dans le corps, stylisé de fait à l’extrême par cette difficulté, qui est donnée à voir. Et ce que l’on comprend, c’est une des forces du nô, c’est qu’importe alors l’âge de l’acteur ou ici son handicap, c’est la fonction symbolique, porté en premier lieu par le masque, et les katas – ces signes immémoriaux dont certains se perdent dans la nuit des temps – et l’énergie du corps, concentrée et quelques soient ses atteintes, cette capacité à être présent, dilaté, jusque dans le dépouillement extrême, qui importe et loin de tout réalisme.
Et pour pallier les difficultés la dimension opératique fut privilégié accentuant davantage encore l’aspect hiératique. Création étonnante donc non pas tant par son traitement des plus classiques, superbes, malgré un sujet peu ordinaire mais par cette leçon magistrale d’un maître et la transmission d’un art porté à son point le plus haut où seule la présence irradiante suffit pour offrir et ouvrir tout un univers.
Marie-Antoinette, reine fascinée par les roses, de Shinji Ueda
Mise en scène de Minotu Genshô Umewaka et Shinji ueda
Chorégraphie et composition de Nagauta par Kanjûro Fujima
Avec
Marie-Antoinette, Minoru Genshô Umewaka, Trésor national vivant
Le comte Fersen, Kazuyuki Fukuô
Interprète du kyogen (Kotodama), Kairi Hokushô
Esprits des roses et soldats, Kôhei Kawagushi & Yôko Layer
Servante de Marie-Antoinette, Moe Nishio
Serviteurs de scène, Hiroshimi Tamoi, Takayuki Matsuyama
Musiciens de nô :
Flûte traversière, Yukihiro Issô
Tambour d’épaule, Genjirô Ôkura, trésor national vivant
Tambour de hanche, Hirotada kamei
Tambours à Battes, Yûichirô Hayashi
Choeur de nô, Naotaka Kakutô, Masaki Umano, Akihiro Takao, Madoka Mikata
Musiciens de Kyogen :
Shamisen, Kanjuro Fujim, Kasayû Yoshizumi, Tomotaka Yoshizumi
Chants, Kotohide Yoshizumi, Koyohide Yoshizumi
Percussions et flûte Kiyoho Tôsha, Mizuho Mochikuzi, Tasano Mochikuzi
Koto, Ami Satô
L’araignée, nô classique (XVème siècle)
Araignée, Minoru Genshô Umewaka, Trésor national vivant
Guerrier, Kazuyuki Fukuô
Musiciens de nô :
Flûte traversière, Yukihiro Issô
Tambour d’épaule, Genjirô Ôkura, trésor national vivant
Tambour de hanche, Hirotada kamei
Tambours à Battes, Yûichirô Hayashi
Chœur de nô / Serviteurs de scène :
Naotaka Kakutô, Masaki Umano, Akihiro Takao, Madoka Mikata, Hiroshimi Tamoi, Takayuki Matsuyama, Kôhei Kawaguchi, Yôko Layer
Le 8 octobre 2019 à 20 h
Opéra-Comique
1, place Boieldieu
75002 Paris
www.opera-comique.com
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