© Julien Benhamou
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Magma est l’un des sept programmes de la quatrième Biennale d’art flamenco au théâtre de Chaillot, qui a affiché encore cette année des danseuses incontournables, comme Ana Morales ou Rocío Molina.
Le danseur iconoclaste Andrés Marín, qui depuis près de trente ans bouscule le flamenco traditionnel, partage quant à lui l’affiche avec Marie-Agnès Gillot, à la retraite depuis deux ans de l’Opéra national de Paris où elle fut l’une de ses grandes étoiles et avant-dernière directrice de la danse.
L’un et l’autre n’aiment pas les frontières que l’on impose à la danse. Andrés Marín, en particulier, a déjà mêlé la sienne à d’autres, notamment le hip hop de Kader Attou (avec Rencontre puis Yātrā) mais aussi l’art du cirque de Bartabas (avec Golgota).
Il avait déjà coopéré avec la danse contemporaine sous la direction de Blanca Li (Poeta en Nueva York créé en 2008 à Chaillot) et renoue cette année avec l’ex danseuse étoile qui n’a pas chaussé de pointes, ni des chaussures de flamenco, mais de jazz pour exécuter une chorégraphie contemporaine où s’échappent de temps à autres des basiques de barre classique ou la fameuse ondulation de bras, dos au public, du Lac des Cygnes.
Le titre Magma est énigmatique. Fait-il référence à la matière en fusion qui se cristallise en profondeur ou correspond-il tout simplement aux initiales de Marie-Agnès Gillot et Andres Marín ? Sans doute aux deux. Le décor, qui se réduit à trois gigantesques blocs monolithiques gris au milieu de la scène d’où sortent et disparaissent les danseurs, semble faire écho au titre. À Cour, un podium accueille une contrebasse et une batterie et leurs instrumentistes, accessible par une marche où est assis au début du spectacle une créature faite de longs filaments qui va se déplacer ou plutôt errer lentement pendant un temps qui a paru trop long à certains spectateurs soupirant ou ne pouvant s’empêcher de dire à voix basse : c’est Chewbacca ! Les références intertextuelles (monolithes, créature « à poils » et aspect nu/désertique du décor) semblent correspondre pourtant davantage à L’Odyssée de l’espace qu’à Star Wars.
Il est toutefois plus difficile de comprendre le sens de la réapparition de la créature et de son double à la moitié du spectacle. Leur gestuelle qui n’ont définitivement rien à voir avec le copilote d’Han Solo, fait étonnamment penser à celle des danseurs des villages Bwaba du Burkina Faso. Même si la partie en bois peinte des masques boni n’est pas reprise, l’accumulation de rafias blonds, la dissimulation de tout signe distinctif ne permettant pas de reconnaître les danseurs et surtout la gestuelle rapide accompagnée du son produit par le frottement des fibres, semblent inspirés de cette cérémonie des masques Boni. Ces références rituelles ou sacrées fugaces, tranchent avec l’aridité des prestations d’Andrés Marín et Marie-Agnès Gillot.
Ce qui frappe très vite ce sont les points communs des deux danseurs tout de noir vêtus, aux corps longilignes mis en valeur par les très belles lumières de Caty Olive. Leurs techniques respectives irréprochables, précises et leurs présences intenses, même dans les mouvements les plus simples, voire les déplacements non dansés sur le plateau, sont confondantes.
Si les solos créent le magique « duende », cet état de grâce indéfinissable et indescriptible qui surgit à plusieurs reprises des taconeos légendaires d’Andrés Marín et les ports de bras et écarts sublimes de Marie-Agnès Gillot, dans le fracas d’une musique envahissante (dans un sens non péjoratif) tantôt assourdissante, tantôt énigmatique, les duos ne sont pas aussi impressionnants. On aurait aimé être troublé, on s’attendait à cette union de deux corps exceptionnels en fusion et qu’ils forgent le Magma annoncé. La rencontre ne se produit pas vraiment. À moins qu’ils aient justement voulu exprimer la rencontre impossible de deux corps qui ne cessent de se croiser, se chercher, vivre côte à côte sans se trouver, sans se reconnaître, deux êtres qui coexistent en laissant une distance infranchissable s’opérer dans le chaos du monde…
© Julien Benhamou
Magma de Christian Rizzo
Chorégraphie Christian Rizzo, Marie-Agnès Gillot, Andrés Marín
Direction artistique, scénographie, costumes Christian Rizzo
Collaborateur artistique du chorégraphe Roberto Martinez
Musique Vanessa Court
Batterie Didier Ambact
Contrebasse Bruno Chevillon
Lumières Caty Olive
Avec Marie-Agnès Gillot, danse
Andrés Marín, danse
Du 6 au 13 février 2020
À 20 h 30 samedi, mardi et jeudi, 15 h 30 dimanche, 19 h 45 mercredi
Durée 1h
Salle Firmin Gémier
Théâtre national de la danse – Chaillot
1 place du Trocadéro
75016 Paris
Réservation 01 53 65 31 00
www.theatre-chaillot.fr
En tournée :
Clermont-Ferrand du 18 au 20 mars 2020
Suresnes le 24 avril 2020
Istres le 5 juin 2020
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