Critiques // Critique • « Madame de… Vilmorin » d’Annick Le Goff et Coralie Seyrig au Petit Montparnasse

Critique • « Madame de… Vilmorin » d’Annick Le Goff et Coralie Seyrig au Petit Montparnasse

Sep 12, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Madame de… Vilmorin » d’Annick Le Goff et Coralie Seyrig au Petit Montparnasse

Critique de Djalila Dechache

Qui était Louise de Vilmorin ? Que représente-t-elle aujourd’hui ? Qu’a-t-elle laissé derrière elle ?
Avec un titre justement calqué sur celui de son livre puis du film – culte « Madame de… » qui fera sa gloire grâce à Max Ophüls (réalisé en 1953) et à la divine Danielle Darrieux qui interpréta le rôle avec l’élégance d‘une femme du monde en prise avec une sombre histoire de bijoux et d’adultère, Louise de Vilmorin aura été cette femme en quête d’existence par-dessus tout.

C’est une excellente idée d’avoir monté cet exercice théâtral qui consiste à nous la présenter à partir de lettres, de souvenirs, de soliloques et de dialogue intérieur dans son célèbre salon bleu de la propriété familiale de Verrières-le-Buisson en vallée de Chevreuse.
Elle y recevra régulièrement le tout Paris en termes d’intellectuels, d’industriels, d’artistes, de comédiens et de cinéastes, de chansonniers et de politiques.
Touche-à-tout et avec un avis sur tout, terriblement féminine et terriblement charmeuse, de santé délicate lorsqu’elle était enfant, Louise Vilmorin (1902-1969) est l’exemple même de la bourgeoise qui a cherché désespérément à donner un sens à sa vie.

© Elizabeth Lennard

Une femme dans le monde

D’entrée, Madame de… Vilmorin, Coralie Seyrig, superbement vêtue dans une tenue d’intérieur en soie de style asiatique, lui donne la légèreté et la grâce d‘une danseuse, d’un oiseau au fur et à mesure de ses mouvements, évoluant dans son salon composé d’une méridienne où elle se blottit, un tapis, un fauteuil, des tentures et un piano. Le spectacle démarre par des soucis d’argent que rencontre la dame : 50.000 F, voyons ce n’est rien dit-elle dans une lettre à son frère, il les lui faut séance tenante!. Louise en rêveuse fantasque et fantaisiste gère l’argent comme le temps, c’est à- dire, mal : « C’est si triste de ne pas avoir les moyens d‘être raisonnable ! ». Lorsque l’eau est coupée parce que la facture n’a pas été réglée à temps, par étourderie, elle traduit cela par « l’obstiné mutisme des robinets », c’est charmant comme tout ! Elle qui s’est adonnée à la rêverie, laissant son imagination se faufiler un peu partout mais « toujours près du cœur » , guidée par des lectures, la compagnie de ses frères et par les rencontres familiales, elle « aura imaginé sa vie », constamment.
Quant au temps, elle en a une vision très optimiste comme elle aime à le souligner, toujours en retard à ses rendez-vous sans le vouloir, incapable de s’en empêcher.

Tout son univers est alors narré, son enfance cantonnée dans « le quartier des enfants », en haut dans la propriété où seul le personnel de service allait, sa passion pour sa poupée au visage de porcelaine, Lili réplique totale d’elle-même, ses parents en voyage (Japon, Siam devenu Thaïlande aujourd’hui) un père savant et adoré, une mère pas très aimante avec elle, son adolescence et ses amours contrariées, ses fiançailles annulées avec Saint-Exupéry, « l’adolescent le plus donné à la vie » dira-t-elle de lui et avec lequel elle n’est pas très tendre, lui reprochant son manque de fortune.

Ses amis de toujours, Jean Cocteau et sa « bonté son désir d’aider les autres et sa non-jalousie », la caractérise par « la simplicité de Louise, c‘est sa plus grande complication » et André Malraux rencontré en 1934 qu’elle retrouvera, qui la pousse à écrire au regard de son imagination fertile par « le sortilège des mots » qu’elle affectionne et avec lequel elle terminera sa vie.

Une incorrigible optimiste

Dans « Madame de… Vilmorin », le personnage a le sens de la formule, fait rire plus qu’il n’y paraît, ne doute de rien comme on dit, « une personne est intéressante parce que je l’intéresse » lance-t-elle, péremptoire, elle a ce côté frivole et grave, superficiel et plein de bon sens, maniérée, snob dans sa prononciation, la façon qu’elle a de poser les consonnes, d’articuler en prenant soin de figer un sourire presque béat après chaque phrase, ses longues mains fines virevoltant au gré des volutes de sa longue cigarette, sirotant sa liqueur, entre les notes de musique jouées au piano…

© Elizabeth Lennard

Quand même il faut bien dire que derrière la façade, on entrevoit une mélancolie diffuse voire une tristesse parfois qui envahit la dame, « je me résigne à vivre sans vie » elle qui n’a pas eu à se battre pour quoi que ce soit, tout est venu à elle, a tout eu avec une facilité incroyable, mariée deux fois, des enfants, des amours, des livres édités, le monde artistique à ses pieds, elle qui loue les poètes parce qu’« ils apportent le tragique dans le banal, charment les esprits comme d‘autres charment les oiseaux ».
Redoutable de lucidité en évoquant le bonheur , elle affirme « qu’il ne l’a jamais intéressée, il repose plus sur les choses que sur les gens ; les gens que j’ai aimé l’ont été par coup de foudre et non par la persuasion ».

L’heure bleue

Coralie Seyrig incarne tout cela, elle est prodigieuse de vérité, de justesse, si drôle et si touchante, échappant au piège de l’imitation, de la ressemblance à tout prix, elle nous enchante tout au long de ce voyage dans le temps de cette femme méconnue du grand public.
Toutes deux se confondent, tant et si bien que l’on se sait plus qui est qui, où s’arrête Louise de Vilmorin, où commence l‘interprétation, une bien belle preuve de composition théâtrale !

Sans cesse Louise de Vilmorin se souciait de ce qu’elle laisserait à la postérité, elle qui était entourée des plus grands dont la réputation les auréolaient de prestige magique et de succès affolant.
Elle incarnait le spleen au féminin, n’ayant à se plaindre de rien mais manquant d’un je ne sais quoi qui la rende tout à fait heureuse, un peu à la manière de Rimbaud dans Chanson de la plus haute tour où il évoque son « oisive jeunesse, à tout asservie, par délicatesse j’ai perdu ma vie ».

C’est un vrai plaisir qui est donné et une vraie leçon de vie de celle qui dit qu’ « il est inutile de s’ennuyer donc vaut mieux s’amuser ». C’est peut-être quelque chose qui ressemblerait à cela qui nous manque à nous aujourd’hui finalement, qui serait une joyeuse légèreté du temps suspendu.

D’où vient-il qu’à mesure que les lumières de scène se transforment en crépuscule, le personnage « Madame de… Vilmorin » en s’accompagnant au piano égrène un « Seigneur, écoutez la prière de celle qui voudrait… », il flotte alors dans le théâtre comme une fragrance de « l’heure bleue » qui nous enveloppe d’une ombre bien vite disparue ?

Madame de… Vilmorin
De : Annick Le Goff et Coralie Seyrig, d’après les entretiens d’André Parinaud
Mise en scène : Christine Dejoux
Avec : Coralie Seyrig
Costume : Anu Gould
Lumière : Franck Thévenon
Régisseur : général Jean-Pierre Faré
Habilleuse : Caroline Négrier

À partir du 9 septembre 2011
Du mardi au samedi à 19h, matinée dimanche à 15h

Théâtre du Petit-Montparnasse
31 rue de la Gaîté, Paris 14e – Réservations 01 43 22 77 74
www.petitmontparnasse.com

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